La justice française est-elle compétente pour juger le naufrage de l’«Erika» ?

Ce mardi 25 septembre 2012, la Cour de cassation va sans doute apposer le point final au feuilleton judiciaire de la catastrophe de l’Erika. La plus haute instance judiciaire française doit rendre une décision très attendue par les victimes de cette gigantesque marée noire.

Le 12 décembre 1999, l’Erika, un navire battant pavillon maltais, transportant 30 900 tonnes de fioul affrété par Total, se brise à une cinquantaine de kilomètres des côtes du Finistère. S’en suivra une gigantesque marée noire qui souillera 400 kilomètres de côtes, et provoquera la mort de 80 000 à 150 000 oiseaux, pour un préjudice estimé à un milliard d’euros.

Après un marathon judiciaire de plus de dix ans, Total, la société de classification Rina ainsi que l’armateur Giusepe Savarese et le gestionnaire Antonio Pollara, sont condamnés en appel. Tous se sont pourvus en cassation. Les associations et collectivités locales qui se sont constituées parties civiles obtiennent 200,6 millions d’euros de dommages et intérêts, dont 13 millions au titre du préjudice écologique - une première.

Une loi contradictoire avec le droit international

Mais un ultime rebondissement a lieu en avril 2012. L’avocat général, qui représente le Parquet à la Cour de cassation, requiert une annulation définitive de la procédure. Il estime que « c’est la seule issue juridiquement possible ». Il reprend en ce sens les arguments donnés par la défense.

Pour Me Daniel Soulez Larivière, l’avocat de Total, « la France possède une loi interne qui n’est pas compatible avec un traité international. Or, d’après la Constitution, c’est le droit international qui prime. »

En cause, la loi française de 1983 sur laquelle sont fondées les poursuites judiciaires, qui ne seraient pas conformes aux conventions internationales signées par la France, et notamment celle dite de Montego Bay. En effet, l’Erika a sombré à 50 kilomètres des côtes bretonnes, dans ce qu’on appelle la Zone économique exclusive (ZEE), qui ne fait donc pas partie des eaux territoriales françaises. En clair, la Cour de cassation doit donc trancher un débat de droit maritime.

Cette dernière a plusieurs possibilités : la validation de l’arrêt de la Cour d’appel de 2010, et les condamnations seraient confirmées ; la cassation partielle, par exemple en validant les indemnités mais en annulant le préjudice écologique ; et enfin la cassation totale de cet arrêt, comme requis par l’avocat général.

« Trente ans de droit de l’environnement fichus l’air »

Cette dernière hypothèse apparaît comme la plus probable, à la grande crainte des parties civiles. La région des Pays de la Loire en fait partie, et Jacques Auxiette, son président, ne cache pas « une grande inquiétude ». « Douze ans après le naufrage, on constaterait alors que la loi française n’est pas en accord avec le droit international et que le préjudice écologique n’existe pas. Cela provoquerait de très grosses interrogations. »

Même discours pour l’eurodéputée Corinne Lepage, qui est également l’avocate de dix communes du littoral : « Ce serait trente ans de droit de l’environnement fichus en l’air ». « Je lancerais immédiatement un travail au Parlement européen pour qu’on propose un texte à la Commission. Il faut que tout pays dont la côte est touchée, où que se soit passé l’accident, puisse être le juge des dommages dont il est l’objet », poursuit-elle, dans un entretien donné à l’AFP.

Quelques heures avant cette décision très attendue, il est donc probable que le géant pétrolier ressorte gagnant de ce combat judiciaire. Mais son image auprès de l’opinion publique risquerait d’en pâtir sérieusement. C’est pourquoi, comme le rappelle Me Soulez Larivière, le groupe aime à rappeler que « toutes les victimes ont été pratiquement indemnisées à 100%. Même le préjudice écologique, chiffré par la Cour d’appel, a été réglé. Nous avons payé une grande part spontanément, par solidarité, et Rina a réglé le reste ».

Des indemnisations d’un montant de 171 millions d’euros, dont Total ne réclamera pas le remboursement, même si le groupe ressort blanchi de ce marathon judiciaire.

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