Marseille a besoin et envie qu'on lui prête une attention toute particulière. Avec 850 000 habitants, c'est la deuxième ville de France et les chiffres de la criminalité n’y sont pas bons, depuis plusieurs années déjà. Aujourd'hui, le préfet Alain Gardère défend ses troupes et la ville où il a été nommé il y a tout juste un an par le précédent gouvernement en disant que « Marseille n'est ni à feu ni à sang ». Il n'a pas tort, et selon lui, les derniers indicateurs sont même en train de s'améliorer « en ce qui concerne les vols à main armée, les vols avec violence et même les cambriolages ». Pour autant, ce n'est pas un hasard si Manuel Valls a réservé son premier déplacement à la cité phocéenne, en mai dernier, quatre jours après avoir investi la Place Beauvau. Ce n'est pas un hasard non plus si Samia Ghali s'est exprimée juste après un énième règlement de compte sur place.
Il y a dans les quartiers nord une véritable guerre de territoires entre dealers de drogue, entre clans et entre familles, qui se règle à coups d'armes lourdes. Très peu chères (entre 500 et 2 000 euros la kalachnikov) et très faciles à se procurer depuis la fin du conflit dans l'ex-Yougoslavie. Ces dernières années, le banditisme a donc changé de visage et s'est radicalisé, sans doute un cran au-dessus de ce que l'on trouve ailleurs. L'appel au secours de Samia Ghali, c'était en fait une façon de mettre les pieds dans le plat et de pousser le gouvernement socialiste à provoquer un conseil interministériel. Ce qu'il a fait, avec une semaine d'avance sur le calendrier prévu.
L'armée : mauvaise réponse à une bonne question
On ne voit vraiment pas ce que l'armée (au sens de défense nationale) pourrait faire dans les quartiers. Ce n'est pas son rôle, ce n'est pas sa mission, et ses contingents ne sont pas formés pour cela. Certes, dans le passé, on a pu faire appel aux militaires pour renforcer le plan antiterroriste Vigipirate ou bien pour ramasser les ordures en cas de fortes intempéries... Mais l'armée n'est jamais intervenue jusque-là dans les cités parce que cela voudrait dire qu'on lui demande de mener des actions de maintien de l'ordre au sein même de la République, en temps de paix. Comme s'il y avait un ennemi intérieur invisible, une forme de guerre civile larvée. Rien de tel pour échauffer les esprits, pour monter les Français les uns contre les autres et pour stigmatiser encore davantage les habitants des quartiers. Très logiquement, cette idée est donc sévèrement critiquée à droite comme à gauche et le premier à être monté au créneau, c'est le président François Hollande en personne, garant de la stabilité du pays.
Cela dit, l'idée de Samia Ghali n'était pas tout à fait farfelue puisqu'il y a déjà des militaires susceptibles d'intervenir dans les quartiers sensibles dans des circonstances bien précises (en cas d'émeutes urbaines par exemple). Ces militaires, ce sont des gendarmes qui ont suivi un entraînement spécifique et qui sont censés travailler, en cas de besoin, main dans la main avec des policiers de la Brigade anticriminalité (BAC). Il s'agit pour l'instant d'expérimentations, d'abord appelées UTECQ, puis BST pour « brigades spécialisées de terrain ». Bref, ce sont des unités mobilisables en toute urgence, entraînées et opérationnelles dans ces terrains difficiles que sont les cités en ébullition. Il y en a par exemple à Grenoble, dans l'Isère.
Le plan d’action du gouvernement
D’une certaine façon, avec ses fameuses « zones de sécurité prioritaires », qu'il dévoilera dans le détail vers le 10 septembre, Manuel Valls s'inspire du savoir-faire et de l'expérience des unités conjointes décrites ci-dessus. Sauf qu'aux policiers et aux gendarmes, le ministre de l'Intérieur voudrait ajouter des responsables du renseignement, des agents du fisc, des assistants sociaux etc, pour lutter en profondeur contre les trafics en tous genres. On en saura plus d'ici quelques jours mais Marseille fait partie depuis le premier jour des 15 premières « zones de sécurité prioritaires » annoncées, et plusieurs élus locaux s'attendent à ce que le périmètre prévu soit étendu à de nouveaux arrondissements. Par ailleurs, il y aura donc un conseil interministériel le 6 septembre, dédié à la deuxième ville de France avec autour du Premier ministre, les ministres de l'Intérieur bien sûr, de la Justice, de la Ville, de l'Education, de l'Economie et des Finances, et de la Lutte contre l'exclusion. Histoire de frapper un grand coup.
Les autres réponses
Si tout le monde est sur le pont, c'est bien sûr parce que la réponse ne peut pas être que sécuritaire. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, considère lui-même que « certains quartiers de Marseille ont été laissés totalement à l'abandon, avec un taux de chômage de 70% parmi les jeunes, des logements dégradés, etc. » Ainsi, Pascal Lamy, le ministre de la Ville, s'est rendu en toute discrétion au mois de juillet dans les quartiers nord, il fera sans doute des propositions concrètes en matière de rénovation urbaine. En attendant, le préfet de la région Paca a été prié d'envoyer des notes chiffrées aux ministères : le rééquilibrage des budgets sera un axe central des discussions, la communauté urbaine étant la moins bien dotée de l'Hexagone. On parlera aussi, par exemple, d'ouvrir des écoles maternelles aux enfants de deux ans ne parlant pas le français... Il y a en fait beaucoup de choses à faire !
Le ras-le-bol des Marseillais
Evidemment, les Marseillais en ont assez. Ils sont ulcérés, à chaque règlement de compte, de voir débarquer des journalistes parisiens, venus réaliser le énième reportage sensationnaliste sur la « cité de la drogue ». Ils en ont assez d'être stigmatisés et qu'on ignore toutes les richesses, souvent méconnues, de la ville qu'ils adorent. Mais ils en ont aussi assez de devoir cacher leurs bijoux quand ils marchent dans la rue, de rentrer plus tôt que prévu à la maison pour éviter les rencontres fortuites, de contourner les allées où ils ne sont pas les bienvenus... C'est toute l'ambigüité d'une ville qui se sent depuis toujours mal aimée.