RFI : Bruno Jeambart, vous êtes directeur général adjoint d’Opinion Way. A chaque débat, à chaque face à face, on cherche à déterminer qui l’emporte. Qui a été le plus fort hier soir ?
Bruno Jambart : C’est assez difficile à dire. Je pense que ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas eu de victoire par KO, ni d’un côté ni de l’autre. Je crois que finalement, les téléspectateurs qui auront regardé et qui avaient une préférence avant le débat, auront gardé leur préférence à l’issue du débat. Mais en tout cas, pour ceux qui doutaient de la capacité de François Hollande à répondre aux arguments de la majorité, qui pensaient qu’il n’était pas forcément prêt pour une campagne présidentielle, il est clair qu’à l’issue de ce débat, ils se sont trompés. On voit que François Hollande est prêt. Ce n’est pas pour moi une surprise, dans la mesure où c’est un homme politique aguerri depuis longtemps, qui a déjà fait la preuve de sa capacité à convaincre, notamment à la télévision.
RFI : Est-ce qu’à vos yeux, François Hollande a été « arrogant », ou « suffisant », comme l’ont reproché ce matin Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, ou encore Jean-François Copé, le patron de l’UMP ?
B.J. : Non, je crois que cela fait partie de l’exercice obligé des lendemains de débats, de charger son adversaire de qualificatifs de la sorte. Je n’ai pas eu ce sentiment-là en regardant l’émission et en particulier le débat.
En revanche, c’est vrai qu’on peut éventuellement lui reprocher d’avoir toujours parlé comme si le quinquennat était terminé et comme si l’élection était un peu jouée. Mais parler d’arrogance, c’est excessif, d’autant qu’il a fait quand même preuve, notamment dans son échange avec Alain Juppé, d’un minimum de prudence sur un certain nombre de sujets.
RFI : Alors Alain Juppé face à lui, le ministre des Affaires étrangères, le numéro deux du gouvernement, quel rôle joue-t-il aujourd’hui dans la campagne ?
B.J. : Je crois qu’il a finalement un rôle assez comparable potentiellement à celui de François Fillon. C'est-à-dire que c’est quelqu’un dont la personnalité est assez différente de celle de Nicolas Sarkozy, et qui donc rassure l’électorat de droite traditionnel et probablement très apprécié par eux, pour ses caractéristiques de compétence, de fiabilité, de droiture, de calme aussi, qui ne sont pas forcément celles du chef de l’Etat. Et donc je crois que dans le dispositif présidentiel, c’est clairement quelqu’un qu’on verra beaucoup dans la campagne, parce que justement il est capable de compenser certaines faiblesses de la personnalité de Nicolas Sarkozy.
RFI : Alors justement, Alain Juppé l’a dit hier, le favori de janvier n’est pas le vainqueur de mai, mais Alain Juppé se garde de prononcer le nom.
B.J. : C’est très compliqué, cette idée. C’est souvent vrai que le favori de fin janvier n’est pas le vainqueur final. Mais ce n’est pas toujours vrai. En 2007 par exemple, en fin janvier, Nicolas Sarkozy était favori. Ce n’était pas le cas au début du mois. C’était le cas à la fin du mois de janvier. Donc je crois surtout qu'il n’y a pas de règle dans une campagne présidentielle. Il y a des campagnes présidentielles où le favori du départ finit par l’emporter et il n’y a pas de mouvement. Nous avons des campagnes où il y a des inversions de courbes qui se font en février, pendant la campagne, et puis on a aussi des campagnes qui se font tout à la fin de la campagne. Je crois qu’il faut se garder de tirer des conclusions des élections précédentes pour les projeter sur celles qui devraient avoir lieu dans trois mois.
RFI : Et François Hollande hier soir encore n’a pas prononcé directement le nom de Nicolas Sarkozy.
B.J. : C’est un petit jeu. On verra combien de temps il durera. Je dirais que c’est un effort que fait François Hollande. Cela peut être d’ailleurs à la fois un atout et une faiblesse. Un atout, parce que cela lui évite de donner le sentiment de ne se positionner que par rapport au président sortant et d’essayer de vivre sa propre vie dans la campagne. Une faiblesse, parce que cela peut aussi à un moment être perçu comme une manière justement un petit peu facile de tourner la page du quinquennat actuel, avant que les Français n’aient fait leur choix et n’aient voté au premier ou au second tour de la présidentielle.
RFI : En tout cas, avant la fin justement de ce quinquennat, il y a un rendez-vous et c’est ce dimanche. Nicolas Sarkozy doit s’exprimer et répondre à des questions de journalistes, et il doit annoncer un certain nombre de réformes. Peut-on s’attendre à une candidature ?
B.J. : Moi, je n’y crois pas trop, mais c’est une question qui, évidemment, va se poser. A partir du moment où François Hollande a lancé sa campagne, il va y avoir des pressions très fortes pour que le chef de l’Etat se déclare plus vite qu’il ne l’a envisagé jusqu’à présent. Mais ce n’est pas nouveau. C’était déjà le cas, par exemple, en 2007 où en décembre la majorité s’interrogeait sur la nécessité de rentrer plus vite en campagne pour Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal étant en avance. Et c’est d’autant plus le cas aujourd’hui qu’il est dans une situation très difficile dans les sondages. Il est très en retard. Et normalement un candidat en retard a intérêt à rentrer plus vite dans la bataille pour essayer justement de combler ce handicap. Donc cela va être probablement une des questions des semaines qui viennent, même si on doute qu’elles ne soient tranchées dès dimanche.