« Hollande et Aubry étaient déjà là quand j'étais au CP! ». Il a 20 ans, au premier tour de la primaire, il a voté Arnaud Montebourg. Mais dimanche prochain, il restera chez lui : Pas étonnant, après le forfait de Dominique Strauss-Kahn, que ces deux-là, Hollande et Aubry, se retrouvent en finale de la primaire socialiste et s'affrontent le 12 octobre au soir dans un duel télévisé.
Tout le monde en convient au Parti socialiste, Martine Aubry et François Hollande ne s'aiment pas. Mais qu'est-ce qui les oppose vraiment ? A en croire le troisième homme de la primaire, Arnaud Montebourg, qui s’exprimait mardi dans Libération, les deux « impétrants » sont « les deux faces d'une même pièce ». Le commissaire-priseur de la primaire, celui qui fait monter les enchères autour de ses 17%, ironisait déjà dans sa campagne sur « les enfants jumeaux de Jacques Delors... ».
« Les jumeaux de Delors »
Il faut remonter aux années 1990 pour que leurs destins commencent à se croiser. François Hollande est alors une valeur montante du socialisme. Il a commencé sa carrière à l'Elysée, aux côtés de Ségolène Royal, recruté par le conseiller de François Mitterrand Jacques Attali à la sortie de l'Ecole nationale d'administration. Au début des années 90, Hollande préside les clubs Témoin, dévoués à Jacques Delors... Jacques Delors, le père de Martine Aubry...
La fille de son père est, elle aussi, entrée en politique au début des années 1980, quand Delors était ministre de François Mitterrand. Elle est l'auteur des lois Auroux, qui modernisent les relations sociales dans l'entreprise. Passage ensuite par le privé ; elle est numéro 3 du groupe industriel Péchiney quand elle devient, à la surprise du grand public, en 1991, ministre du Travail d'Edith Cresson. Six ans plus tard, après la dissolution de l’Assemblée nationale, elle monte encore en grade et devient numéro 2 du gouvernement Jospin. François Hollande, lui, regarde passer le train des ministères, et doit se contenter des clefs du Parti socialiste.
A l'approche des législatives de 2002, le Premier secrétaire pèse sur les investitures. Martine Aubry fait des pieds et des mains pour être élue députée à Lille, la ville qu'elle dirige depuis 2001. Jusqu'à brusquer et froisser les barons locaux. François Hollande n'intervient pas, et Martine Aubry n'hérite pas de la meilleure circonscription. Après le 21 avril 2002 et l'élimination de Lionel Jospin le soir du 1er tour de la présidentielle, c'est la double peine pour celle qui était promise au poste de Premier ministre. L'étoile des années Jospin se casse les dents aux législatives de juin. Elle perd. Elle pleure. Devant les caméras. Martine Aubry en veut à François Hollande.
Les deux derniers patrons du PS
Ces deux-là ne font que se croiser, et se retrouvent en 2008. L'annus horribilis du Parti socialiste. L'année du fratricide congrès de Reims, où le parti a failli exploser. Aubry se retrouve à la tête du front anti-Royal, prête à prendre la main sur le PS pour préparer la présidentielle de 2012. Naissance du TSS, le Tout Sauf Ségolène. Qui fonctionne, au prix de quelques arrangements avec la démocratie interne. Martine Aubry est élue première secrétaire, sous les accusations de « vol » et de « triche » lancées par Ségolène Royal. François Hollande laisse faire. Mieux vaut une injustice qu'un grand désordre. L'ex de Ségolène Royal préfère sauver l'unité du PS, et laisse Martine Aubry s'installer dans son fauteuil, rue de Solférino à Paris, au siège du Parti socialiste.
La nouvelle patronne du PS ne lui en est même pas reconnaissante. Au contraire. A peine arrivée rue de Solférino, elle se déchaîne contre son prédécesseur, accusé d'avoir laissé le parti « dans un état pas possible ». « Il n'a pas travaillé pendant dix ans. J'ai même été obligée de réparer les radiateurs et les toilettes bouchées », lâche avec élégance la nouvelle première secrétaire.
La « méchante » et le « mou »
Une petite musique qu'elle rejoue à la fin du mois d'août 2011, lors de son entrée en campagne dans la primaire socialiste. Avant d'attaquer Hollande sur « la gauche molle ». « La formule nous a fait du mal », finissent par reconnaître au soir du 1er tour les amis de François Hollande, déçus du résultat de leur champion. Mais pourquoi tant de haine ?
« François la trouve méchante, confie un proche de Hollande. Pour ça, elle tient de sa mère, une Basque au caractère trempé. Entre la fille et la mère, ce n'était pas facile tous les jours à la maison pour Jacques Delors. » Ambiance...
Sont-ils pourtant si différents sur le fond, les enfants de Jacques Delors et Lionel Jospin, deux sociaux-démocrates bon teint ? Ce qui les oppose, c'est avant tout leur caractère. Lui est rond, elle cassante. « Elle me raccrochait au nez au téléphone, se souvient un ancien secrétaire national du Parti socialiste. Elle me considérait comme son sous-fifre. » « Elle a des convictions, n'est pas en permanence dans la stratégie de l'édredon », répondent les amis d'Aubry.
Dans la dernière ligne droite de sa campagne, François Hollande a décidé de répondre aux coups. « Je n'ai hérité de rien », vient de lâcher le député de Corrèze contre la fille de son père. Jusqu'où ira la surenchère ? En politique, la rancœur n'est jamais très bonne conseillère.