Procès Chirac : dernier jour d'un bien curieux procès

Le procès de Jacques Chirac dans l'affaire des emplois présumés fictifs à la mairie de Paris s’est achevé ce vendredi 23 septembre 2011 avec les plaidoiries de ses quatre avocats. Le jugement du tribunal correctionnel de Paris sera rendu le 15 décembre. Ce procès restera historique car, pour la première fois de la Ve République, il met sur la sellette un ancien président, même si les faits dont il est accusé se sont déroulés antérieurement à son mandat.

Lundi 5 septembre : c'est un procès bien étrange qui s’ouvre à la 11ème chambre correctionnelle du palais de justice de Paris. Un procès sans le principal prévenu : Jacques Chirac. Le quatuor d’avocats chargés de défendre l’ancien maire de Paris, quatuor mené par les ténors Georges Kiejman et Jean Veil, est arrivé avec une dispense médicale. Et ce fut l'occasion de découvrir une maladie inconnue du grand public, l'anosognosie : Jacques Chirac est victime de troubles de la mémoire. Il oublie qu'il oublie. Mais en ce premier jour d'audience, Georges Kiejman, son avocat l'affirme : l'ancien président de la République souffre de ne pas assister à son procès.

Mardi 6 septembre : la dispense de santé de Jacques Chirac est acceptée par le tribunal. Les débats vont pouvoir commencer. Seule l'association anticorruption Anticor, partie civile, fulmine. Jérôme Karsanti, son avocat, qualifie cette absence de « dérobade voulue par le clan Chirac afin de ne pas écorner l’image de l’ancien président de la République ».

Le bal des absents

Absence de Jacques Chirac, le principal prévenu. Absence de la principale victime, la mairie de Paris, qui, avant le procès, a préféré transiger en acceptant d'être indemnisée par l'UMP et la famille Chirac. Absence des procureurs : le parquet ayant requis au terme de l'instruction un non-lieu, les deux substituts ont donc choisi de ne pas jouer leur rôle.

Tout au long des débats Michel Maes et Chantal de Leiris, les deux vice-procureurs, se muent en accusateurs d’un genre inconnu dans les prétoires. Un genre qui s’apparente à celui de mercenaires de la défense. Toujours prévenants à l’égard des prévenus, ils se montrent bien peu curieux, ne posant, en tout et pour tout, qu’une dizaine de questions.

Absence, enfin, d'un témoin essentiel, Alain Juppé, condamné en 2004 dans l'un des volets de l'affaire, l'actuel ministre des Affaires étrangères, ne s'est pas présenté. Le 15 septembre, jour de sa convocation, il s'est envolé pour la Libye avec Nicolas Sarkozy. Le tribunal ne l'a pas reconvoqué.

Etonnants chargés de missions

Au côté du siège vide de Jacques Chirac, neuf autres prévenus sont jugés pour 28 postes rémunérés par la mairie de Paris entre 1990 et 1995. Selon les enquêteurs, leurs titulaires travaillaient, soit pour le RPR [Rassemblement pour la République, dont l'UMP se veut l'héritier, NDLR], soit pour servir les ambitions électorales de celui qui était à l'époque maire de Paris et qui n’avait qu’un objectif : la conquête de l’Elysée.

Pendant deux semaines le tribunal s'est donc replongé dans les années Chirac à l'Hôtel de Ville (1977-1995). À cette époque, aux côtés des 40 000 fonctionnaires de la ville, cohabitaient plusieurs centaines de chargés de missions, aux emplois parfois étonnants.

Le tribunal a ainsi évoqué le cas d'Annie Demichel, fille d'un élu de Corrèze, embauchée pour rédiger des notes de lecture à Jacques Chirac qui paraît-il n'avait pas le temps de lire. Elle n'a jamais mis les pieds à la mairie et aucune trace de ses travaux n'a été retrouvée.

Le tribunal a aussi évoqué le cas de la cellule corrézienne. Pendant cinq ans (1990-1995), Jean-Marie Roche a ainsi joué le rôle de « Monsieur bons offices » pour le compte du maire de Paris en Corrèze. Installé à Ussel, département de la Corrèze et fief électoral de Jacques Chirac, son travail consistait à relayer toutes les demandes des Corréziens mais aussi des Corréziens installés à Paris. Les gens appelaient pour obtenir, qui un emploi, qui une place en crèche, qui un appartement à Paris. « Monsieur Chirac, explique Jean-Marie Roche à la barre, souhaitait que l’on réponde avec une attention toute particulière aux sollicitations des Corréziens et quand j’envoyais un dossier à Paris, la mairie savait qu’il fallait faire attention ».

Jean-Marie Roche exhibe, alors au tribunal sa carte de visite de l’époque sur laquelle on peut lire « Mairie de Paris – Ussel Corrèze », comme si la Corrèze avait été le XXIe arrondissement parisien !

Anticor, seule contre tous

Lundi 19 septembre : Anticor, la partie civile, entame sa plaidoirie. Jérôme Karsanti son avocat, le seul vrai contradicteur à l'audience, voit dans ces pratiques, trois types de préjudices : d'une part, un faussement du jeu démocratique d’autre part, un détournement des fonds publics et enfin, un détournement à des fins personnels. Sans se faire d’illusion, l’avocat de l’association Anticor demande au parquet, qui doit rendre son réquisitoire le lendemain, de condamner cette « corruption ».

Mardi 20 septembre : Sans surprise, les deux représentants du parquet livrent une véritable plaidoirie de défense en guise de réquisitoire : « Pas de système frauduleux pas d'emplois fictifs »,  affirment les procureurs, concluant  « qu'il n'y avait eu que des maladresses  ». Ce qui provoque de nombreux rires sur les bancs du tribunal. Un réquisitoire « caricatural et affligeant », s’indigne aussitôt le Syndicat de la magistrature qui enfonce le clou : « Au-delà même des railleries-parfaitement justifiées- de la totalité de la presse, qui rejaillissent sur l’institution judiciaire tout entière, ces deux procureurs seront parvenus à renforcer les citoyens dans leur conviction que la justice n’est décidément pas la même pour tous ».

De son côté, la défense de Jacques Chirac ne cache pas sa très grande satisfaction... Car, après un tel réquisitoire, elle peut plaider ce vendredi après-midi dans le plus grand confort.

Jacques Chirac s’adresse au tribunal

Vendredi 23 septembre : Ses avocats l’ont toujours affirmé, si Jacques Chirac avait pu assister à son procès, il aurait été son meilleur défenseur. C’est pourquoi au moment de plaider, son avocat Jean Veil choisi d’abord de lire une très longue lettre de Jacques Chirac adressée au tribunal.

Dans cette missive, l’ancien maire de Paris manifeste son sentiment d’incompréhension face au décalage entre les faits qui lui sont reprochés et la présentation qui en a été donnée. Aux yeux de Jacques Chirac, ce rendez-vous est donc nécessairement politique. « Il n’y a pas deux Chirac, dit-il, l’un des soi-disant arrangements et l’autre consacré à la grandeur et à la cohésion à la France. Il n’y a qu’un homme qui assume son parcours au service de son pays.» 

« J’affirme, poursuit Jacques Chirac, n’avoir commis ni faute pénale, ni faute morale ». Et il insiste : « Les emplois présumés fictifs ont tous été utiles à l’exercice de sa mission de maire et s’il a décidé de régler ce différent avant le procès avec la ville de Paris, ce n’est en aucun cas une reconnaissance de culpabilité. »

Pour conclure, l’ancien chef d’Etat s’adresse à la nation. « La vérité, il la doit aux Français, écrit-il, c’est un procès important pour la démocratie, même s’il constitue à titre personnel un instant particulièrement cruel. »

Le tribunal correctionnel de Paris rendra son jugement le 15 décembre.
 

 

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