Le débat sur les propos d’Eva Joly, candidate d’Europe Écologie-Les Verts à la prochaine présidentielle française, sur la suppression du défilé militaire du 14-Juillet, a ravivé, au-delà des polémiques politiciennes, la question du lien entre les Français et leur armée. Une question d’autant plus brûlante que sept soldats engagés dans le conflit afghan y ont laissé la vie au même moment. Et si dans les médias, les témoignages de solidarité de citoyens lambda se multiplient, plusieurs cadres de l’armée ont tiré la sonnette d’alarme ces derniers mois : le peuple s’éloignerait de ses soldats. Ainsi, s’ils n’ont pas une basse opinion de leur armée, les Français n’en montreraient pas plus d’affection à son endroit.
Le 20 mai dernier, l’amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées, déclarait entre les murs de l’Institut des hautes études à la défense nationale, que les armées françaises étaient « fragilisées par la distance qui existe entre le monde militaire et le monde civil ; distance, qui n’est pas nouvelle, mais (…) qui semble s’accroître ». Un mois plus tard, l’amiral Pierre-François Forissier enfonçait le clou devant l’Association des journalistes de défense : « la Nation n’est pas convenable avec ses soldats ».
Du rouge canadien aux millions de livres britanniques
Faible participation populaire lors de funérailles, ou pour les rapatriements de soldats, pauvreté de la couverture médiatique : voilà pour quelques-uns des griefs. Une forme d’indifférence qui tranche avec l'état d'esprit outre-Atlantique, sans même évoquer le cas bien connu des Etats-Unis.
Ainsi au Canada, les occasions de manifester son soutien aux engagés ne manquent pas. Une participation financière ? L'association Red Ribbon Forces l’utilisera pour acheter des colis de ravitaillement à destination des contingents déployés à l’étranger. Un signe ostentatoire à arborer ? La fondation Red Fridays propose aux citoyens canadiens de porter des vêtements teintés du rouge national chaque vendredi. Une pratique que l’on retrouve aussi aux Etats-Unis. Deux Canadiens sur trois sont pourtant opposés à l’intervention en Afghanistan où Ottawa disposait, jusqu’à ce mois de juillet, d’un contingent de 3 000 hommes.
En Grande-Bretagne, malgré un désaveu manifeste de l’engagement du pays en Afghanistan (60% d’opinion défavorable) et un lourd tribut payé en vies humaines (377 morts depuis 2001), le retour des troupes est l’occasion de grands rassemblements populaires. Les funérailles, de recueillements massifs. Et pour ce qui est des dons en soutien aux troupes, l’association Help for Heroes a pulvérisé tous les records outre-Manche avec plus de104 millions de livres récoltés depuis 2007. Une somme en partie allouée à la rééducation des blessés de guerre.
De simples « faits divers »
En France, la suppression du service militaire obligatoire, en 1997, est un argument souvent avancé pour expliquer ce détachement vis-à-vis de l’armée. Dans une note pour le think tank La vie des idées, Frédérique Leichter-Flack, enseignante à Sciences Po Paris, expliquait en 2010 que la « fonctionnarisation de l’armée », faisant de ce métier l’égal de n’importe quel autre, avait participé à la disparition du « sens de l’engagement ». La mort au combat est ainsi de moins en moins perçue comme un « sacrifice » et relève désormais bien plus du « fait divers », voire du simple « accident du travail ».
A cela s’ajoute la difficulté d’entrevoir le sens de la mission de l’armée française sur de nombreux théâtres d’opération, à commencer par l’Afghanistan. Selon un sondage Ifop pour le journal l’Humanité, rendu public en février dernier, seulement 44% des Français estimaient que la présence militaire française est nécessaire pour lutter contre le terrorisme et 35% qu’elle a permis de faire progresser la démocratie. Ce 19 juillet, dans la cour d'honneur des Invalides à Paris, Nicolas Sarkozy réaffirmait que les soldats tués en Afghanistan, n'étaient « pas morts pour rien ».
Pour aller plus loin :
- L’opinion publique française et la guerre d’Afghanistan, par Frédérique Leichter-Flack, paru sur le site La vie des idées, le 1er mars 2010.