Pour ce troisième procès devant une cour d'assises composée uniquement de magistrats professionnels, la donne a quelque peu changé : sur le banc des parties civiles, le très pugnace maître Lemaire, empêché pour raisons de santé, a laissé la place à son illustre confrère Yves Baudelot, moins aguerri sur ce dossier compliqué. Du côté de la défense, maître Eric Dupond-Moretti a fait une entrée remarquée. Venu conforter les avocats historiques d'Yvan Colonna, celui qui multiplie les records en matière d'acquittement, s'est jeté dans l'arène comme un taureau, et il ne lâche rien. Il avance en contrepoint de l'exégète de la procédure, maître Philippe Dehapiot : quand l'un rugit, l'autre pinaille...
Depuis son box, Yvan Colonna observe avec attention. Contrairement aux procès de 2007 et 2009, il a manifestement décidé de s'exprimer davantage, même si cet exercice reste pour lui laborieux. Parfois malgré tout son discours s'emballe : et là, ce sont sa rage et sa rancœur envers les membres du commando qui ressortent. En quelques mots lapidaires qu'il leur envoie sans ménagement, et qui ne reçoivent en écho qu'un silence glacial. Entre tous ceux-là, il existe encore bien des secrets que la justice ne connaîtra sans doute jamais. Leurs bouffées de haine réciproques ont bien vite balayé les sourires tendres et les petits signes affectueux adressés au début du procès par Yvan Colonna à Stéphanie, la jeune femme qu'il a épousée dernièrement en prison et qui porte leur enfant.
Des aveux mais pas de preuves tangibles
Ce n'est pas un hasard si les avocats d'Yvan Colonna ont d'entrée de jeu mis en cause les gardes à vue effectuées en mai 1999. Certains membres du commando et plusieurs de leurs compagnes ou épouses, ont en effet donné à ce moment-là le nom d'Yvan Colonna. Bien qu'il y ait eu des rétractations, des mois ou des années plus tard, la procédure repose aujourd'hui encore en grande partie sur ces aveux. Pierre Alessandri, l'ami de toujours d'Yvan Colonna, ne l'a disculpé qu'en 2000, pour prendre à son compte le rôle du tireur en 2004. A la barre, alors que les trois juges d'instruction concernés maintenaient que ces gardes à vue s'étaient passées dans de bonnes conditions, plusieurs témoins ont affirmé au contraire avoir subi chantages et pressions, avoir lu les procès-verbaux d'autres interpellés, avoir même rencontré leurs conjoints interrogés en parallèle, ce qu'ont confirmé des policiers.
Il faut dire que l'enquête sur l'assassinat du préfet Claude Erignac s'est déroulée à l'époque dans une drôle d'atmosphère : sous pression du politique ; avec une concurrence acharnée entre policiers, gendarmes et membres du RAID ; avec une mésentente évidente entre les juges... Le résultat, c'est une enquête « à trous » qui comporte de nombreuses zones d'ombre ou des incohérences, que rien ne vient éclairer.
De nombreuses zones d'ombre
Comme lors des procès précédents, les rares témoins oculaires persistent à ne pas reconnaître en Yvan Colonna le tueur du préfet Erignac mais ils n'ont pas été convoqués sur les lieux du crime lorsque la cour s'est transportée récemment et à grands frais sur place. On se demande bien pourquoi... Les balisticiens, qui étaient eux du voyage, n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la taille du tueur, qui ne correspond pas à celle d'Yvan Colonna. Par ailleurs, et c'est un élément nouveau, un expert reconnu en téléphonie a soulevé un drôle de lièvre : selon ses relevés, Yvan Colonna n'a quasiment pas eu d'échanges avec les membres du commando entre le 1er septembre 1997 et le 15 février 1998.
Toujours selon ses relevés, le jour de l'assassinat, il est impossible que les membres du commando aient emprunté l'itinéraire qu'ils ont décrit à la police. Ils auraient donc vraisemblablement menti sur leur lieu de rassemblement, sur leur trajet, et pourquoi pas sur le scénario d'exécution. D'ailleurs, selon certains d'entre eux, tous les suspects n'ont pas été appréhendés : ils auraient été en fait plus nombreux à participer à l'attentat contre la gendarmerie de Pietrosella, comme à l'assassinat du préfet. Ce que ne dément pas la police.
Il y a donc des hommes impliqués dans ces deux actions violentes qui se promènent toujours dans la nature. Qui sont-ils ? Combien sont-ils ? Pourquoi ne pas avoir cherché à les retrouver ? Et comment se fait-il que les policiers aient fait d'Yvan Colonna une cible prioritaire dès décembre 1998, quand à l'époque le RAID surveillait ses moindres faits et gestes ?
La défense marque contre son camp
Alors qu'ils venaient patiemment de déterrer depuis plusieurs semaines tous les os pourris de ce dossier, le 27 mai au soir, les avocats d'Yvan Colonna plongent dans un grand trou noir. C'est un pli enveloppé de papier kraft et livré par coursier qui va les y précipiter. Il s'agit de la photocopie d'une lettre, censée avoir été écrite par Yvan Colonna depuis sa geôle en décembre 2010 à l'attention de Pierre Alessandri. Le ton en est haineux et plein de menaces : « Soit tu me fais sortir (NDLR : en me disculpant définitivement à la barre), soit ce sera la guerre ! » Pris de court, les avocats corses jouent dans un premier temps l'empathie et reconnaissent qu'Yvan Colonna en est l'auteur : « c'est une erreur », et en même temps, « le cri de désespoir » d'un homme injustement jeté en prison... Quand le lundi, derrière un Dupond-Moretti remonté à bloc car resté silencieux tout le week-end, ils se mettent tous à rétropédaler et à expliquer que ce « torchon » est un faux, une manipulation, ils ont du mal à convaincre. De même que Colonna qui déclare solennellement retrouver dans ce texte son écriture, ses expressions, ses sentiments... mais refuse d'en endosser la paternité.
Les parties civiles et le Ministère public boivent du petit lait et laissent le banc d'en face ramer à contre-courant : à leurs yeux, Yvan Colonna est bien l'assassin du préfet et il vient de révéler son vrai visage. En ce qui concerne le passage piteux à la barre du chef de la police judiciaire, Christian Lothion, mieux vaut l'oublier, par charité. Ainsi donc : Yvan Colonna n'a jamais écrit la fameuse lettre, que Pierre Alessandri n'a jamais reçue ni lue, que Christian Lothion a transmise sans en connaître la source, et dont personne ne sait où se trouve l'original. Fermez le ban !
Le procès Colonna, au cœur des réformes en cours
« Le procès d'Yvan Colonna n'est pas le procès des gardes à vue, c'est le procès d'Yvan Colonna », martelaient le premier jour du procès les parties civiles. Certes, mais avec la réforme d'avril dernier, ce qui était possible et toléré en 1999 serait inconcevable désormais. Ce même premier jour, les avocats de la défense avaient demandé à la cour d'assises spéciale de choisir : « soit vous motivez votre décision, soit vous changez le mode de scrutin ! » (NDLR : qui aurait été défavorable à l'accusé au sein d'une cour d'assises spéciale) Un projet de loi étant en cours et une décision de la Cour de cassation sur le feu, le président Hervé Stéphan a annoncé finalement que la décision serait motivée, et donc que l'accusé pourrait comprendre le cheminement de pensée des magistrats ayant conduit au verdict. Ce dernier sera rendu avant la fin du mois.