Un 1er Prix du World Press Photo à un Olivier Laban-Mattei en image et en son

Olivier Laban-Mattei, 34 ans, a reçu le 1er prix du prestigieux concours du World Press Photo dans la catégorie « Information générale, reportage ». Le photoreporter français s’est distingué parmi les 108 059 images qui ont été envoyées au jury par 5 691 photographes du monde entier. L’exposition itinérante du World Press Photo parcourt  chaque année 200 pays, attire des millions des visiteurs et montre les photos des lauréats jusqu’au 21 juin à la Galerie Azzedine Alaïa à Paris. Rencontre avec un photographe hors pair.

RFI : Un 1er prix au World Press Photo, cela signifie quoi pour vous ?

Olivier Laban-Mattei : C’est toujours un honneur d’être récompensé par ses pairs sachant que le jury du World Press Photo est un jury d’exception qui comporte des grands noms du photojournalisme.

RFI : Après un 3e prix il y a deux ans, un 2e prix il y a un an, le 1er prix était une suite logique de votre travail ?

O L.-M. : En photojournalisme, on essaie avant tout de raconter des histoires, de raconter ce qui se passe dans le monde. Je ne peux pas dire qu’il y a une progression. Parfois, on fait de bonnes photos, parfois de moins bonnes photos. A chaque fois, on essaie de faire le mieux possible pour raconter l’information au plus juste et essayer de transmettre un certain nombre de valeurs et d’informations au public.

RFI : Les prix sont des signes extérieurs, à l’intérieur de vous-même, avez-vous le sentiment de progresser ?

O. L.-M. : La progression est plus humaine que photographique. A force de rencontrer des gens qui sont essentiellement des victimes de guerre, de catastrophes naturelles, on apprend beaucoup d’eux. Petit à petit on apprend peut-être aussi une forme de sagesse et puis la force qu’ils ont pour surmonter tous les drames qu’ils vivent. Ce qui est le plus important, c’est avant tout le contact avec ces gens-là qui est de plus en plus intense.

RFI : Sur les cimaises de l’exposition se trouvent quatre des douze photos de votre reportage primées aux World Press Photo Awards 2011. Qu’est-ce que vous avez voulu raconter avec ces photos ?

O. L.-M. : Comme je suis arrivé au lendemain du tremblement de terre, j’ai essayé de raconter avec ces douze photos les trois semaines qui ont suivi à Haïti, au contact de la population et avec son lot de drame qui en découlait. Il n’y avait pas que le jour du tremblement de terre, mais il y a eu l’exode. Il y a eu ce que l’on a appelé les « pillages » qui étaient en fait des instincts de survie de la part d’une population qui ne recevait pas d’aide des ONG, qui était complètement à l’abandon. La police les chassait au prix de leur vie puisque beaucoup d’entre eux ont été froidement tués avec une balle dans la tête. Il y avait des réfugiés, des blessés, et également le côté traumatisme du tremblement de terre avec ces gens qui erraient dans la rue à ne pas savoir où aller, à ne pas comprendre ce qui s’est passé, qui ont perdu leur femme, leurs enfants, leur maison. Du jour au lendemain, leur vie basculait.

RFI : Parmi les photos on voit une femme vaguant dans la rue, avec un carton sur la tête.

O. L.-M. : Cette photo a été prise trois jours après le tremblement de terre. On voit au loin la cathédrale détruite. J’avais l’impression d’arriver dans une ville bombardée, comme on a pu voir des images pendant la guerre de 1940 avec ces villes qui avaient été complètement rasées par les bombes des avions. Et puis cette femme au premier plan qui est évidemment le personnage de l’histoire. Cette femme qui se retrouve seule au milieu de cette route et qui ne sais pas où elle va, qui ne sait pas ce qu’elle fait là. C’est le traumatisme post-séisme. On peut toujours voir ce symbole, ce carton au-dessus de sa tête qui est peut-être sa maison actuellement. La peur du béton était énorme et elle est toujours énorme actuellement.

RFI : Depuis, vous avez traversé d’autres catastrophes, guerres, misères humaines. Quelle image vous reste-t-il de ce tremblement de terre à Haïti, un an après ?

O. L.-M. : Bizarrement, ce n’est pas une image qui va rester pour moi de cette catastrophe, mais plus des sons. Et aussi ce sentiment d’impuissance. Quand on est photographe, on est avant tout un être humain. Quand on arrive au lendemain de la catastrophe, avant même de faire des photos, on voit si on ne peut pas aider aussi, à notre manière. Les humanitaires n’étaient pas encore là. Ce déchirement d’entendre des cris d’hommes et de femmes coincés sous les décombres et de ne pas pouvoir les aider, de ne pas pouvoir les sortir de là. Ils étaient pris au piège sous cette armada de béton. C’est cela qui m’a le plus touché, choqué et ce que je garde encore en tête, ce sont plus des sons, les cris de ces gens-là, plus que des images.

RFI : Quel regard portez-vous sur l’évolution du World Press Photo ? L’année dernière, c’était la première fois qu’une photo amateur a été primée avec une mention spéciale pour l’image qui montre les manifestants en Iran, prise à partir d’un vidéo publié sur l’internet. Cette année, le World Press Photo a donné une mention spéciale à Michael Wolf qui a pris des photos à partir de Google street view. L’avènement de l’internet, Google, Facebook… annonce quel avenir pour la profession de photoreporter ?

O. L.-M. : Beaucoup de photojournalistes ont eu peur de cette arrivée de Facebook, Twitter et des téléphones portables. Certains pensaient que c’est la mort de notre métier que tout le monde pouvait faire des photos et les envoyer aux agences. Je pense qu’il n’y a rien qui remplace le regard du journaliste. Les photos nous parviennent sont souvent des manifestants, comme on l’avait vu en Iran et aussi avec les révolutions tunisienne et égyptienne. Ce sont des photos qui sont faites par des citoyens. On n’a pas forcément l’assurance que ces photos soient la vérité. Cela peut être pris comme des images de propagande. Cela dit, je pense qu’elles sont quand-même nécessaires, parce que de nos jours on voit qu’il est de plus en plus difficile pour les photoreporters de se rendre sur place avec les frontières qui sont très vite fermées. Par exemple, actuellement, il est très difficile d’accéder aux images en Syrie. Les photos qui nous parviennent sont des images amateurs. Ce sont les seules qu’on a et je pense qu’il faut faire avec et qu’il faut quand même les utiliser après les avoir vérifiées. Notre travail est encore là. Il faut continuer à les vérifier. Jamais ils ne remplaceront le travail du photojournaliste qui est la garantie de la véracité des faits.

 

- Le site officiel World Press Photo
- L’exposition des lauréats du concourt World Press Photo 2011 dure jusqu’au 21 juin à la Galerie Azzedine Alaïa. 18, rue de la Verrerie, 75004 Paris.

 

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