RFI : « Visa pour l’Image » , la référence internationale du photojournalisme, se revendique comme défenseur d’une réalité non travestie et non transformée. Des images avec un ciel trop bleu, des uniformes trop propres et des nuages trop roses, cela vous est arrivé aussi après le tremblement de terre à Haïti ?
Olivier Laban-Mattei : De voir des ciels bleus, cela m’est arrivé. Par contre, de transformer la réalité, non. Il faut vraiment faire attention quand on travaille ces images à ne pas transformer la réalité. Dans photojournaliste, il y a le mot journaliste, on doit donner une information le plus juste possible de ce qu’on voit. Je pense qu’il faut rester sur les bases de l’argentique, c’est-à-dire de ne pas enlever ou rajouter des éléments sur la photo. Sur le traitement de l’image en lui-même : certains photographes aiment désaturer leurs images, d’autres de travailler en noir et blanc, d’autres très contrasté ou de mettre beaucoup de couleurs. Cela ne me pose pas de problème dans le sens qu’avant on utilisait des pellicules qui avaient toutes des chimies et des propriétés différentes. Il faut s’interdire de transformer la réalité.
RFI : Le photojournaliste qui parcourt le monde reste-t-il maître à bord ? Comment éviter que votre image soit transformée ou manipulée à l’agence avant d’être publiée ?
O. L.-M. : Quand je travaillais à l’AFP, le problème c’était que les images passaient toutes au laboratoire. Moi, j’aime plutôt contraster et saturer les images. J’ai une certaine attirance pour le noir et blanc, j’ai plutôt tendance à avoir des couleurs sur mes photos qui tirent un peu plus sur le blanc et noir que l’extrême couleur. A l’AFP, on demande toujours aux photographes qu’ils font quelque chose de très neutre sans aucune altération. Le problème, c’est qu’il y a souvent un décalage entre ce qu’a voulu dire le photographe et la manière dont il l’a exprimé aussi par son traitement de l’image et ce qui est ensuite rendu au labo qui est complètement aplati et neutralisé et – parfois – peut détruire le sens premier de l’image.
RFI : Ce n’est pas travestir la réalité, c’est une quête de neutralité.
O.L.-M. : Mais parfois, la neutralité est telle qu’elle finit par détruire le sens de l’image, un photographe qui a voulu sous-exposer d’un ou deux diaph son image pour donner un vrai sens à son image, de jouer avec les ombres, jouer avec les contre-jours. A l’AFP, au labo les gens ont tendance à tout remonter, à tout mettre en neutre. L’image devient plate, sans intérêt, elle devient grise et donc détruit le sens que le photographe lui a voulu donner.
RFI : Il y a des débats autours des questions éthiques ou de l’ « over-photoshopping » dans une agence comme l’AFP?
O.L.-M. :Oui, il y a des débats. Maintenant, il ne faut pas qu’on tombe dans les extrêmes, c’est-à-dire refuser catégoriquement Photoshop. Actuellement, le débat est nécessaire parce qu’il y a des abus de certains photographes autour de cette question de Photoshop et il faut très vite poser un certain nombre de règles de déontologie qui devraient être axées sur la modification de la réalité par l’ajout ou le retrait de certains éléments sur la photo.
RFI : Dans le cadre de « Visa - Transmission pour l’Image » (30 août – 1er septembre), vous prodiguez parmi d’autres vos conseils aux jeunes photographes. Qu’est-ce qu’il faut leur transmettre ?
O.L.-M. : A la génération qui arrive derrière nous, il faut transmettre des valeurs de déontologie. Il ne serait pas mal qu’un journaliste ait un serment comme le serment d’Hippocrate - que ce soit un journaliste de presse écrite ou un journaliste photographe. On est actuellement dans une course au scoop, parce que le marché est complètement abîmé. Les seuls qui s’en sortent sont ceux qui émergent, les meilleurs. Certains ont tendance pour se faire remarquer à travestir la réalité, à monter des sujets de toutes pièces, placer des gens sur leurs photos. Par définition, le photographe part seul sur un sujet au bout du monde. Il est impossible – et heureusement, parce que je ne suis pas pour le contrôle – de vérifier si ce qu’il a vu est vrai ou faux. C’est sur la bonne foi du journaliste et je pense qu’il faut transmettre aux générations futures ces valeurs de vérité et ce besoin de retransmettre la réalité.
RFI : L'exposition s'intitule Le jour où tout a basculé... Une image de vous qui a changé quelque chose en France ?
O.L.-M. : Dans l’exposition il n’y a qu’une photo faite en France, celle de Nicolas Sarkozy pas encore candidat à la présidentielle qui, à l’université de l’UMP de Marseille en septembre 2006, est allé dans la salle de presse des journalistes et a décidé de tenir une petite conférence de presse où les caméras étaient interdites. Il s’était retrouvé au milieu des journalistes. Je me suis mis en face de lui. J’avais un demi-cercle de journalistes autour de lui. J’avais été assez surpris que tout le monde se tutoyait. Au moment où il réagit à une question d’une journaliste il joint les mains et regarde en l’air. A ce moment-là, j’ai fait la photo. Cette photo est assez incroyable sur le principe où on a l’impression que c’est Jésus Christ et les apôtres. C’est vraiment biblique. Je voulais parler de cette connivence entre les journalistes et le futur candidat à l’élection présidentielle. Ce qui a d’ailleurs pas mal embêté le candidat par la suite et du coup il a beaucoup plus formalisé et encadré ses meetings par la suite. Parce que pour lui, il s’est fait avoir.
RFI : Une photo qui a changé quelque chose dans le monde ?
O.L.-M. : Il y a cette photo faite en Iran d’un homme en costume qui - armé d’une pierre - se jette sur un policier pour lui lancer la pierre. C’est la première pierre lancée au lendemain de l’élection en Iran. La photo est forte parce que cela montrait que ce n’étaient pas des voyous qui manifestaient. C’est assez révélateur de ce qui s’est passé par la suite en Iran et c’est peut-être aussi un signe de changement pour eux.
RFI : Quelle était votre motivation d’origine pour devenir photojournaliste ?
O.L.-M. :Ma motivation d’origine n’a pas changé. Il y a des raisons d’enfant qui persistent, le goût de l’aventure, le goût de l’action et puis découvrir d’autres gens, de rencontrer aussi la souffrance qui nous permet, nous photographes, d’apprendre beaucoup. On essaie de donner ce qu’on peut, mais on prend aussi beaucoup de ces gens qui souffrent et qui restent pourtant très dignes face à leurs souffrances. Et puis il y a aussi le besoin de témoigner – si cela change un jour, j’arrêterai ce métier – et le besoin de raconter ce que la majorité des gens ne peuvent pas voir. On est là aussi pour éclairer certains endroits du monde ou juste en bas de chez nous qui peuvent tomber dans l’oubli si on n’est pas là.