Révolutions, le regard de l’image sur le printemps arabe

Révolutions - Le regard de huit photographes sur le printemps arabe montre la photo comme acteur réel des soulèvements en Tunisie, Egypte et Libye. Une main en sang, un insurgé sur une carcasse de voiture, un homme en costume sous les canons à eau. Des images qui ne montrent pas des symboles ni des icônes, mais un regard et un élan qui ont largement dépassés les frontières. Sur les cimaises : des œuvres de photojournalistes-auteurs (Dominic Nahr, Guillaume Binet, Julien Daniel, Lionel Charrier, Luca Sola, Olivier Laban-Mattei, Ron Haviv, Yuri Kozyrev) qui donnent une grande importance à la subjectivité de leur image. Entretien avec Guillaume Binet, photographe, photojournaliste et directeur de la galerie parisienne La petite poule noire.

RFI : Pourquoi monter une exposition avec ces images d’actualité ?

Guillaume Binet : J’étais en tant que photographe au Caire pour couvrir la grogne des pays arabes. Dès le début, j’ai pris une photo qui a été publié dans Newsweek et en couverture du Nouvel Observateur, qui a été très vite vue, aussi au Caire. Certains m’ont appelé pour l’acquérir. Je me suis rendu compte que ce que les gens cherchaient c’était aussi bien d’avoir cette photo pour un aspect esthétique et subjectif, mais aussi pour avoir un petit bout de symbole. Un peu comme un petit bout du mur de Berlin. L’image a participé ou a accompagné en temps réel la révolution.

RFI : Aujourd’hui on appelle les révolutions en Tunisie, Egypte et Libye le printemps arabe. Une dénomination commune pour trois révolutions dans trois pays différents. Dans votre exposition aussi, les photos ne sont pas divisées par pays. Une photo prise dans un pays est valide pour toutes les trois révolutions ?

G.B. : Notre vocation n’est pas de tirer des conclusions sur ces révolutions ou ces soulèvements. La Libye, la Tunisie, l’Egypte sont des pays complètements différents. Ce qui nous a frappés en tant que photographes sur place, c’était de voir que les gens prenaient leur destin en main. Dans ce moment-là, le fait qu’on soit Tunisien, Egyptien ou Libyen, l’envie d’aller de l’avant est similaire.

RFI : Sur les photos il n’y a pas de bâtiments, aucune « Bastille » en vue. Les photos montrent des visages de gens ordinaires. C’était cela le visage de ces révolutions ?

G.B. : Oui. Durant la révolution au Caire, qui a été très rapide, j’ai ressenti énormément d’émotions de voir des gens qui manifestaient pour la première fois : des mères qui apportaient à leurs enfants des pierres pour les lancer. Il y avait un élan. Nos photos étaient prises le 25 janvier, un homme, pas très loin de la place Tahrir, s’est mis au milieu du carrefour, a sorti un panneau : « Moubarak dégage ». Il était seul. Une semaine, deux semaines après, il y avait deux millions de gens dans la rue. Nous avons voulu nous concentrer sur un regard qui pétille, une envie humaine, des gens qui prennent leur destin en main.

RFI : Une révolution va vite et puis elle entre dans l’histoire. Une photo se déclenche aussi très rapidement et peut devenir après une icône ? Une photo capte-t-elle mieux une révolution que les autres médias ?

G.B. : Je ne sais pas. Je pense que tous les médias sont complémentaires.

RFI : Vous n’exposez pas de photos prises par des photographes arabes. Il n’y en avait pas ou c’était un parti pris ?

G.B. : Ce n’est absolument pas un parti pris. Je travaille plus avec des photographes français, parce que je suis Français, je les connais, je les croise. Il y a évidemment des photographes arabes dans le monde, je ne les connaissais pas et je suis peut-être plus sensible à une iconographie occidentale plutôt à une iconographie arabe. Dans la presse, on voit souvent lors d’un événement, les premières photos sont signées souvent des correspondants locaux d’AFP, AP, Reuters. On voit des noms arabes au début, dès que l’événement prend de l’ampleur, les envoyés spéciaux arrivent sur place et à ce moment ce sont le plus souvent des photographes européens ou américains.

RFI : On parle souvent des révolutions Facebook. Quel rôle ont joué les photos ?

G.B. : Ce sont des peuples qui se sont ouverts au monde, pas spécialement au monde occidental, mais au monde en général, aux Chinois, au Moyen-Orient… ils ont vu que d’autres choses existaient. Ils ont pu commencer à lutter. Et très rapidement, ils ont eu le retour de nos images. Ce sont les images qui les ont accompagnées. Ce sont des images que le monde regardait et qui ont aidé à accompagner la révolution. Cette histoire de Facebook, de réseau social, de communication, je trouvais cela fabuleux. Là, on avait vraiment vu l’ouverture sur le monde. Toutes ces images qu’on montre ici dans l’exposition, ce sont des images qui peuvent être belles ou moins belles selon le goût de chacun, mais qui – en tant qu’objet – étaient acteurs de cette révolution. 

Révolutions, jusqu’au 28 mai à la galerie La petite poule noire, 12 bd des Filles du Calvaire, 75011 Paris. Ouvert de 12h à 19h, du mardi au samedi. Entre libre.

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