En attendant la mobilisation nationale du jeudi 10 février 2011, plus d’une cinquantaine de juridictions, selon les syndicats, ont rejoint les rangs de la contestation, parmi lesquelles celles de Nanterre, Lyon ou Bordeaux. Elles ont décidé de suivre le mot d’ordre de report des audiences non urgentes. Dans le même temps, des assemblées générales se sont tenues un peu partout en France. Celle du Tribunal de grande instance de Paris, qualifiée d’historique, a attiré ce mardi matin les deux tiers des effectifs parisiens de première instance au Palais de justice. Un report des audiences jusqu’à jeudi a été voté.
Plusieurs cours d’appel entrent dans le mouvement et, fait hautement symbolique, la Cour de cassation elle-même a prévu une réunion. Le mouvement continue donc de prendre de l’ampleur, dans des proportions inédites.
Des dysfonctionnements dénoncés par l’Elysée et Matignon
A l’origine de cette colère : la mise en cause de la justice par le président français Nicolas Sarkozy, qui avait parlé jeudi dernier de « dysfonctionnements graves » dans le cadre de l’affaire de la jeune Laetitia, dont le meurtrier présumé est un récidiviste. Le chef de gouvernement François Fillon a défendu la même ligne. Qualifiant la réaction des juges excessive, il a assuré que des sanctions seraient prises en cas de négligence avérée. Une intervention qui a entretenu la colère des magistrats.
L’Union syndicale des magistrats (USM) se dit « écœurée » par ces propos et se déclare prête à toute forme d’action, « comme bloquer la machine » selon les mots de son président Christophe Régnard. Le Syndicat de la magistrature (SM) estime pour sa part que le Premier ministre n’a pas pris conscience de l’ampleur du malaise.
La France, parent pauvre de la justice européenne
Le malaise repose sur le manque de moyens et d’effectifs de l’appareil judiciaire. D’ailleurs, « cela ne date pas de Nicolas Sarkozy », d’après le juge antiterroriste Marc Trévidic.
L’année dernière, le Conseil de l’Europe publiait une étude sur les budgets consacrés à la justice. Sur le critère du pourcentage du produit intérieur brut, la France se classait en 2008, 37e derrière tous les pays de richesse comparable, à l'exception de la Finlande. Le rapport la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej) souligne également que le ratio par habitant de juges et de procureurs est l’un des plus faibles en Europe.
Le gouvernement français met en avant des progrès. François Baroin a souligné que le budget de la justice était le seul, avec celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, à être épargné par les suppressions de postes. Un budget qui a augmenté de plus de 4%, à 7,1 milliards d'euros pour 2011. Toutefois, la moitié environ est destinée l'administration pénitentiaire. Quoiqu’il en soit, pour la Cepej les moyens ne suffisent pas à répondre à des besoins en constante croissance.
Au-delà des difficultés fonctionnelles, un ras-le-bol général
Les magistrats bénéficient de nombreux soutiens parmi les policiers, les avocats mais aussi de la part de personnalités de l’opposition. La polémique s’inscrit dans un contexte d’accumulation des frictions entre le corps judicaire et le pouvoir exécutif. Depuis qu’il est à la tête de l’Etat, Nicolas Sarkozy a multiplié les critiques envers les magistrats et lancé une kyrielle de mesures législatives contestées.
Les juges dénoncent l’instrumentalisation sous-jacente de l’émotion populaire après le meurtre de Laetitia Perrais. Exaspérés, ils estiment être des boucs émissaires et s’indignent des accusations de défaillances alors même que les conclusions définitives des enquêtes administratives ne sont pas attendues avant la fin de la semaine.