En France, le face à face police-justice fait tache d'huile

Le soutien apporté vendredi 10 décembre 2010 par Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, à sept policiers condamnés à de la prison ferme provoque une vive polémique politique en France. Retour sur cette affaire qui relance les vives tensions entre la police et la justice.

A l’origine : des faits particulièrement graves

Le 9 septembre dernier à Aulnay-sous-Bois, en région parisienne, un policier est percuté par une voiture après une course-poursuite. Les sept policiers présents lors de l’intervention décident de mentir et accusent sur procès-verbal le conducteur de la voiture qu’ils poursuivaient. Le conducteur est aussitôt placé en garde à vue pour tentative d’homicide sur fonctionnaires de police. L’incrimination est particulièrement grave : l’homme est passible d’une peine de prison à perpétuité. Mais au cours des investigations, les témoignages des policiers s’effondrent. Certains finissent par avouer qu’un de leur collègue était à l’origine de l’accident.

Le 4 novembre dernier, ils sont jugés pour « dénonciation calomnieuse et faux en écriture ». Plus grave encore, sur les sept policiers poursuivis, trois sont également jugés pour « violence aggravée »…car la victime a reçu des coups après son interpellation. Le procès est très agité, le procureur va jusqu’à comparer ces policiers à la Gestapo, la police d’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Une comparaison qui provoque des huées dans la salle d’audience.

Un jugement sous tension

Vendredi dernier, le tribunal de Bobigny rend son jugement. Des peines de prison ferme sont prononcées : trois policiers sont condamnés à 12 mois de prison, un à 9 mois, un autre à 7 mois et deux à 6 mois. Pour cinq d’entre eux, la condamnation est inscrite sur leur casier judiciaire, ce qui rend de fait impossible la poursuite de leur carrière au sein de la Police Nationale.

Les fonctionnaires, âgés de 23 à 32 ans, accueillent dans l’abattement l’énoncé des peines. Car elles vont bien au-delà des réquisitions… le procureur n’ayant prononcé que des condamnations assorties du sursis. Le tribunal a mis en avant la gravité des faits. Par souci de pédagogie, les magistrats ont expliqué qu’ils avaient jugé selon le degré de participation aux faux en écriture publique et qu’ils avaient distingué des autres policiers, ceux qui étaient poursuivis pour violence aggravée.

Le parquet fait appel du jugement, mais à l’extérieur du tribunal la tension monte d’un cran. Deux cents policiers en tenue sont là pour soutenir leurs collègues. Ils laissent éclater leur colère devant le palais de justice de Bobigny et activent les sirènes de leurs véhicules de service.

Un bras de fer police-justice

Immédiatement les syndicats policiers s’en prennent violemment aux magistrats de Bobigny. « Ce tribunal est connu pour receler les pires idéologues de la culture de l’excuse quand il s’agit de remettre dehors à tour de bras les trafiquants de stupéfiants, braqueurs, auteurs de tentatives d’homicide » déclare le syndicat Synergie Officiers. Son secrétaire général, Patrice Ribeiro, enfonce le clou : « Ces condamnations sont un acte politique et syndical » ajoute-t-il… une flèche portée au Syndicat de la magistrature, classé à gauche et qui est bien implanté dans ce tribunal. « Le corps des fonctionnaires de la police a le sentiment d’être déconsidéré par rapport à d’autres citoyens aux prises avec la justice » souligne de son côté un autre syndicat, Unité SGP Police. L’Union syndicale des magistrats par la voix de son président Christophe Reignard réagit aussitôt « Le métier de la police n’est pas de faire des faux et frapper des suspects. Ces faux auraient pu conduire une personne en Cour d’assises où il encourait la réclusion à perpétuité ».

Alors que les querelles entre syndicats de policiers et magistrats se multiplient ces derniers mois, les premiers accusant les seconds de laxisme envers les délinquants, Clarisse Taron présidente du Syndicat de la magistrature tente de calmer le jeu « ce qui me désole, c’est qu’on renforce une guerre police-justice qui n’a pas lieu d’être ».

L’affaire prend un tour politique

Deux heures seulement après l’énoncé du jugement, Brice Hortefeux avive la polémique : « Ce jugement peut légitimement apparaître, aux yeux des forces de sécurité, comme disproportionné », lâche le ministre de l’Intérieur. Christian Lambert, le préfet de Seine- Saint-Denis, ancien « grand flic », un proche du chef de l’Etat, renchérit également se disant « très étonné » par cette décision.

Le Parti socialiste, par la voix de l’ex-garde des Sceaux Marylise Lebranchu, condamne avec fermeté la manifestation des policiers devant le palais de justice et appelle « à des sanctions immédiates contre ceux qui viennent de mettre en cause publiquement la justice alors qu’ils sont dépositaires de l’autorité publique ». « Laissez les magistrats faire leur travail ! » lance en réaction Martine Aubry, la patronne du PS. L’Union syndicale des magistrats, de son côté, intervient à nouveau en qualifiant « d’ahurissantes les réactions du ministre, du préfet et des syndicats de policiers ».

Brice Hortefeux persiste, signe… et fait sortir le ministre de la Justice de sa réserve

Samedi, devant le Conseil national de l’UMP, puis dimanche dans les médias, le ministre de l’Intérieur confirme sa position. « Le métier de policier, de gendarme, de sapeur- pompier c’est un métier où il arrive quotidiennement de risquer sa vie et je me réjouis de la décision du parquet de faire appel de ce jugement »… « Le jugement condamnant les policiers est disproportionné, ces propos je les confirme, je les revendique et je les assume » martèle Brice Hortefeux.

En réponse, le garde des Sceaux Michel Mercier rappelle simplement « que Brice Hortefeux n’est pas ministre de la Justice, mais qu’il est chargé des policiers ». Le ministre de la Justice récuse les accusations de laxisme des magistrats, « Ils effectuent leur travail avec sérieux et responsabilité » insiste-t-il. Mais il aura fallu attendre dimanche pour que le garde des Sceaux se décide à sortir de sa réserve et à défendre ses troupes et son pré carré… « C’est un peu tardif » estiment les syndicats de la magistrature, étonnés du silence de leur ministre aux premières heures de la polémique.

Hortefeux, l’homme des controverses

En matière de polémique et controverse, le ministre de l’Intérieur, ami fidèle du président Sarkozy, n’en est pas à son coup d’essai. On peut même le qualifier de multirécidiviste. Exemple, en l’espace trois jours, il a provoqué deux controverses. La première en niant mercredi dernier, 7 décembre, toute pagaille en Ile-de-France alors que la région entière était paralysée par une exceptionnelle tempête de neige. La seconde, ce week-end avec les policiers condamnés. Cet été, le ministre de l’Intérieur a également réussi à placer la France en fâcheuse posture avec l’Union européenne : alors que le gouvernement français affirmait à la Commission européenne que Paris respectait scrupuleusement la loi interdisant les discriminations ethniques, le ministère de l’Intérieur avait rédigé une circulaire sur les expulsions, ciblant les Roms... Cet « incident » intervenait juste après la condamnation du ministre pour des propos jugés outrageants. Lors de l’université d’été de l’UMP en septembre 2009, il avait déclaré devant un militant d’origine maghrébine : « Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ». Le ministre qui a fait appel du jugement a toujours tenu à préciser qu’il parlait des Auvergnats.

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