« Qu’il s’agisse de notre politique de sécurité, de la lutte contre l’immigration clandestine et les trafics d’êtres humains ou de l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public , précise Pierre Lellouche dans son communiqué, toutes ces politiques actuellement menées par le gouvernement français ne visent précisément qu’à garantir les libertés publiques, et notamment l’égalité des droits des femmes, à protéger les plus vulnérables contre les trafics d’êtres humains et à préserver le premier des droits de l’homme, qui est le droit à la sécurité ».
Pourtant, selon le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU (CERD), réuni pendant deux jours à Genève, la réalité est toute autre. Que ce soit le traitement des gens du voyage et des Roms, le débat sur l’identité nationale, la non-reconnaissance du droit des minorités dans la législation ou encore la déchéance de la nationalité pour des criminels d’origine étrangère, comme le réclame le président français Nicolas Sarkozy, le CERD se montre très critique envers la France.
« Le carnet de circulation nous effraie »
Les experts dénoncent tout particulièrement le traitement réservé aux gens du voyage. Majoritairement de nationalité française, ils doivent faire tamponner un permis de circulation tous les trois mois à la police et sont obligés de passer plusieurs mois dans la même commune avant de pouvoir voter.
« Le carnet de circulation nous effraie, nous rappelle l’époque de Pétain », a expliqué l’expert nigérien Waliakoye Saidou pendant un vif débat de deux heures avec les membres de la délégation française à Genève. Confrontés à ces critiques, les représentants français ont insisté sur le fait que des modifications de cette loi datant de 1969 sont à l’étude.
Egalement attaquée pour l’expulsion des Roms vers la Roumanie et la Bulgarie, la délégation française s’est défendue en mettant en avant le droit européen qui stipule que tout Etat peut mettre fin au séjour d’une personne sans emploi et qui constitue un poids social. « Toutes les mesures sont prises dans le cadre de départ volontaire assorti d’une aide humanitaire », a insisté Frédérique Doublet, une responsable du ministère français de l’Immigration.
Une mesure non-conforme à la Constitution ?
Les récentes déclarations du président français Nicolas Sarkozy qui souhaite retirer la nationalité à « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte » à un « dépositaire de l’autorité publique » n’ont pas trouvé, non plus, grâce aux yeux des 18 experts.
Un membre turc du Comité s’est étonné : « Je ne comprends pas ce que c’est qu’un Français d’origine étrangère et je me demande si cela est compatible avec la Constitution ». La délégation française n’a pas pu rassurer les experts, estimant impossible de commenter un projet de loi dont les contours n’ont pas encore été définis.
Aujourd’hui épinglée pour sa politique vis-à-vis de ses minorités, la France a pourtant eu du temps pour répondre aux attentes de l’ONU. Son dernier passage devant le CERD remonte à 2005.
Depuis, Paris a rédigé un rapport de 88 pages, visiblement insuffisant aux yeux du comité d’experts. Il illustre les efforts faits ces dernières années en matière de lutte contre la discrimination : la création en 2007 d’un pôle anti-discriminations, la loi sur l’égalité des chances de mars 2006 qui est à l’origine de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances ou encore les pouvoirs renforcés de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde).
Dans ce rapport destiné au Comité de l’ONU, la France se targue même de la création, en 2007, d’un ministère spécial dédié aux questions de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement.
« Recrudescence notable du racisme et de la xénophobie »
Or, les experts du CERD ont jugé que les résultats de la lutte contre la discrimination et le racisme ne sont pas à la hauteur et dénoncent une « recrudescence notable du racisme et de la xénophobie » dans le pays des droits de l’homme. En revanche, l’annonce inattendue faite par les représentants français qu’un plan national de lutte contre le racisme est en préparation, a été saluée par le Comité de l’ONU qui doit rendre ses conclusions d’ici le 27 août prochain.
Plusieurs associations antiracistes espèrent que les critiques venant de l’ONU porteront leurs fruits : « Je suis triste de voir la France épinglée et montrée du doigt de la sorte, a déclaré Alain Jakubowicz, président de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), mais il faut dire que la plupart des critiques et reproches sont fondés ».
De son côté, Malik Salemkour, vice-président de la Ligue des droits de l’Homme s’est félicité : « Nous sommes satisfaits que des experts internationaux partagent notre inquiétude. Cela veut dire que notre diagnostic n'est pas teinté d'anti-sarkozysme ou d'angélisme. Ces dérives inquiètent aussi la communauté internationale ».