La police a procédé à plusieurs interpellations parmi près de 200 manifestants qui scandaient « la Turquie est laïque et le restera » devant l'une des entrées de l'Assemblée nationale à Ankara.
Pour les disperser, la police antiémeute est intervenue à coups de gaz lacrymogène. Les manifestants réagissaient aux propos d’Ismail Kahraman, président du Parlement et membre du parti islamo-conservateur AKP au pouvoir.
« Nous sommes un pays musulman, a-t-il déclaré, et la laïcité ne doit pas figurer dans la nouvelle Constitution ». Cette sortie du président de l'Assemblée Ismail Kahraman n'étonne pas, venant d'un homme qui a déjà plaidé pour une islamisation du droit turc.
Mais ces propos vont plus loin. En évoquant la suppression de la laïcité, le leader du Parlement s'attaque au plus grand symbole du kémalisme.
L'AKP prend ses distances
La déclaration d’Ismail Kahraman a donc provoqué une levée de boucliers des milieux laïcs, mais aussi de l'ensemble de l'opposition parlementaire, rapporte notre correspondant à Istanbul, Alexandre Billette. Le quotidien libéral Cumhuriyet parle de « scandale », et le chef du parti d'opposition CHP, Kemal Kiliçdaroglu, s'est lancé dans un réquisitoire contre le président de l'Assemblée nationale : « La laïcité, c'est défendre la liberté de religion et de croyance ! L'Etat doit rester neutre sur deux chapitres : l'origine ethnique et les croyances religieuses. Peu importe l'appartenance religieuse, l'Etat doit se comporter de façon équitable envers tous ses citoyens. Monsieur le président de l'Assemblée, soit vous acceptez cet Etat, soit vous devez quitter ce fauteuil ! »
Preuve de l'importance de ce symbole, le parti au pouvoir s'est lui-même distancé des propos du président du Parlement. Un dirigeant de l'AKP s'est senti obligé de préciser par la suite que le parti n'avait pas de problème avec la laïcité. Kahraman « n'a pas parlé au nom de l'AKP », a indiqué Mustafa Sentop.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l'AKP est accusé par ses détracteurs de vouloir islamiser la société turque.
■ La Turquie condamnée pour discrimination
La Turquie a été condamnée de manière définitive par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour discrimination religieuse. La CEDH demande à Ankara de mettre les Alévis de Turquie sur un pied d'égalité avec les musulmans sunnites. Les Alévis sont adeptes d'une version hétérodoxe de l'islam, ils représentent la principale minorité religieuse de Turquie - de 15 à 20% de la population. Malgré leur importance démographique, ils restent victimes de discriminations de la part des autorités turques. Les explications d'Elise Massicard, chercheuse au CNRS et spécialiste des Alévis.