La décision de rappeler l'ambassadeur italien au Caire a été prise suite à la faillite totale de la réunion-fleuve à Rome entre la délégation de deux magistrats et trois hauts gradés de la police égyptienne et l'équipe italienne qui enquêtent sur l'assassinat de Giulio Regeni, rapporte notre correspondante à Rome Anne Le Nir. Un doctorant qui préparait une thèse sur les syndicats en Egypte et dont le corps, atrocement torturé, a été retrouvé au Caire dix jours après sa disparition, le 25 janvier.
Depuis, les versions des autorités égyptiennes se sont succédé : accident de la route, crime crapuleux, règlement de compte... Dernière en date : la police égyptienne aurait tué quatre membres d'un gang criminel et retrouvé, au domicile du présumé chef, des effets personnels de Giulio Regeni, dont son passeport.
Version rejetée, elle aussi, par les autorités italiennes qui ont demandé, en vain, des éclaircissements sur des questions relatives aux documents d'identité de Giulio Regeni.
Autre raison de la suspension de la collaboration judiciaire entre Rome et Le Caire : les enquêteurs égyptiens refusent de fournir les précieuses données du téléphone portable du jeune italien, dont la mère n'a pu reconnaître son visage que grâce à la pointe de son nez.
Les autorités égyptiennes n'ont réagi que très prudemment à l'annonce de la diplomatie italienne. Le ministère des Affaires étrangères a publié un communiqué selon lequel Le Caire n'avait pas été officiellement informé du rappel de l’ambassadeur, ni des raisons de ce départ.
« L'affaire Regeni est un complot »
Mais plusieurs médias proches du gouvernement ont exprimé leur mécontentement, a constaté notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti. Selon eux, Rome a cédé au chantage de l'opposition dans un contexte de période électorale. Ils continuent à soutenir que « l'affaire Regeni est un complot » auquel sont mêlés les services secrets britanniques ou turcs et que le doctorant était « un espion ».
D’autres médias locaux, nombreux et influents, se montrent critiquent à l’égard du pouvoir. Plusieurs présentateurs télé, jusque-là proches des autorités, ont durement critiqué la manière dont la crise Regeni a été gérée. « On a laissé la boule de neige grandir et maintenant elle nous tombe sur la tête », a notamment estimé un commentateur.
Un ancien haut responsable des services de sécurité a qualifié les résultats de l'enquête « d'insatisfaisants à tous les niveaux, tant pour les Italiens que pour les Egyptiens ». Un autre journaliste a appelé ses confrères à ne pas jouer les matamores en déclarant la guerre à l'Italie. « Il faut faire preuve de transparence et celui qui a fauté doit être puni quel qu'il soit », a conclu un autre observateur.
Il y a quelques jours, une célèbre présentatrice considérée comme pro-Sissi avait déclaré de manière sibylline : « Il ne faut pas qu'une guerre des services et même des institutions entraîne le pays vers l'abîme ».
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