Le caviar, un plaisir unique, rare et mondialisé!

Que reste-t-il du prestige russe, pays auquel les précieux œufs noirs semblent indéfectiblement liés dans notre imaginaire ? Désormais, interdits à la vente, ce sont les caviars internationaux qui inondent le marché : Chine, France, Italie ou Etats-Unis se positionnent comme producteurs de caviar d’élevage. Gros plan sur un met synonyme de fête et de luxe.

D’abord plat de Carême chez les Perses, le caviar devient un met festif dès le XIXe siècle en Russie et en Iran. Point commun de la genèse, cette « mère », la mer Caspienne, où se trouvaient les espèces spécifiques d’esturgeons sauvages.

C’est avec l’exil des Russes blancs vers Paris dès les années 1920 que l’alchimie se fait entre les deux styles de vie favorisant ainsi le rayonnement mondial du caviar. C’est à cette période que deux frères d’origine arménienne, Melkoum et Mouchegh Petrossian, initièrent le Paris des années folles à ce met exotique en créant la première société de négoce dans le domaine. Paris et ses mondanités devinrent dès lors la « vitrine » du caviar de l’est.

A la tête de l’entreprise depuis plus de 40 ans, Armen Petrossian est l’un des quatre enfants de Mouchegh qui épousa la fille de Lazare Mailoff, dont la famille détenait dès 1815 des concessions de pêche sur la mer Caspienne. Ce dernier prévient : « ce qui nous différencie, c’est un savoir-faire particulier d’affinage et l’orientation vers une certaine qualité. Tout le monde n’a pas ce savoir-faire pour sublimer le poisson » pour obtenir les quatre gammes : le Spéciale réserve, l’Impérial, le Royal, ou le Caviar pressé.

Le caviar, ce sont plusieurs d’œufs issus de différentes espèces d’esturgeons : le Huso donne le béluga et ses gros œufs gris noir fondants au goût beurré. Le Gueldenstaedtii donne l’osciètre plus petit et plus ferme au goût plus iodé, le Baeri au goût d’huître de l’esturgeon sibérien ; la signature gustative étant donnée par la maturité des œufs et leur éventuel affinage.

Des caviars désormais d’élevage comme l’explique le célèbre négociant, membre de plusieurs groupes de travail pour sa défense : « le caviar sauvage est protégé par le CITES depuis 1997 et interdit à la vente depuis 2008 », soulignant que « la pêche intensive est arrivée à un moment de dérèglementation qui a suivi la Perestroïka. Chacun a pêché des esturgeons comme il le voulait, ce qui sous-tend un problème économique, car cela subvenait aux besoins de la population locale. Ceci a favorisé le braconnage et le marché noir. »

Un caviar bien élevé

Les esturgeons dont sont issus les œufs ne vivent pas exclusivement dans la mer Caspienne, comme le souligne Laurent Dulau directeur général chez Kaviar – Ardia (et 3e producteur de Caviar au Monde avec 12 tonnes. « L’esturgeon est un poisson qui vit en marine salée et qui se reproduit en eau douce, c’est pour cela qu’on le retrouve dans tous les estuaires des grands fleuves du monde comme la Gironde en France, le Danube en Europe, le delta du Mississippi aux États-Unis, le Saint-Laurent au Canada, le fleuve Amour en Chine. »

Egalement président de l’association chargée de promouvoir l’IGP Caviar d’Aquitaine, Laurent Dulau indique que « l’Aquitaine est pionnière dans la production de Caviar d’élevage qu’elle pratique depuis 1982, et les premiers caviars ont été produits en 1996. Avant cela, il y avait une production de caviar sauvage plus confidentielle entre 1920 et 1980. »

Ses fermes d’élevages et écloseries optimisent les géniteurs d’une même espèce par le croisement des meilleurs pour améliorer la qualité et la productivité des esturgeons, sachant que l’on doit attendre trois ans pour savoir s’il s’agit d’un mâle ou d’une femelle et un minimum de huit ans avant d’en extraire les œufs : « Nous avons mis au point l’échographie des poissons afin de vérifier que la femelle porte bien des œufs avant de la sacrifier. On a aussi mis au point un système de vérification de maturité de ces oeufs pour optimiser leur prélèvement. »

Ainsi la France serait qualitativement « l’autre pays du Caviar ». Quantitativement, la France se fait devancer par la Chine, devenue numéro un. Suivent ensuite les fermes en Italie, aux États-Unis, en Iran, Pologne, Allemagne, Suisse, Israël et l’Uruguay. Madagascar a même le projet de s’y mettre prochainement.

Le caviar nouveau ?

Aussi observe-t-on l’émergence d’une nouvelle école du caviar. Dans cette « nouvelle vague », Caviar de Neuvic entend moderniser et simplifier l’approche du caviar.

Pour Laurent Deverlanges, PDG de Huso/Caviar de Neuvic situé à Neuvic-sur-l’Isle, Dordogne : « Nos poissons ont une alimentation saine sans protéines d’animaux terrestres, ni hémoglobines. On pense faire tout passer en alimentation bio. » Un caviar bien élevé qui joue la rébellion en s’émancipant des négociants jusque-là sur le devant de la scène.

« Nous c’est le produit et c’est tout ! On peut revendiquer un certain savoir-faire du caviar à la française » souligne le producteur qui a lancé sa propre marque en 2013 et a ouvert son showroom design à Paris dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés en octobre. 

Pour lui, « au-delà d’un point de vente, c’est une ambassade du caviar d’Aquitaine où l’on essaie de ne pas tromper les gens en prenant des airs russes. Créer une marque c’est donner des repères à nos clients, sans artifices. » Kaviari a donné le ton dès 2011 avec ses « En-K de Kaviar », barquettes métalliques flashy où se niche une « ligne » de caviar.

Une évolution de la consommation polymorphe et quelque peu décomplexée. Mais les acteurs au long cours tel qu’Armen Petrossian ne semble guère inquiété par cette nouvelle concurrence : « Il faut au moins dix ans pour former un palais de caviarologue à la dégustation des différentes variétés, et installer une marque dans le temps est un travail de longue haleine qui ne se fait pas en une fois. »

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