De notre correspondant à Berlin, Pascal Thibaut
Le débat télévisé au soir du 18 septembre 2005 est resté dans les annales. La CDU emmenée par Angela Merkel créditée quelques semaines plus tôt de plus de 40 % des voix enregistre à l’arrivée son plus mauvais score de l’après-guerre avec 35 %. Le programme très libéral de la candidate n’a visiblement pas convaincu les électeurs. Le sortant, le social-démocrate Gerhard Schröder a permis à son parti le SPD d’effectuer une remontée spectaculaire. Un maigre point sépare à l’arrivée les deux grands partis. Gerhard Schröder rayonne face à une Angela Merkel livide le soir des élections annonçant tonitruant qu’elle ne sera jamais chancelière et certainement pas avec l’appui des sociaux-démocrates.
La première chancelière de l'histoire allemande
Deux mois plus tard, les choses sont bien différentes. Une grande coalition CDU-SPD se met en place dirigée par Angela Merkel qui devient la première chancelière de l’histoire allemande. Pourtant, rien ne la prédisposait au départ à cette fonction. Cinq ans plus tôt, cette femme originaire de l’Est, protestante, divorcée et sans enfants, prenait la tête de la CDU secouée par une affaire de financement occulte remontant au chancelier Kohl. Un séisme dans un parti dominé par des hommes, catholiques et bien pensants, et ancré dans la partie Ouest du pays. Celle qui a été découverte et promue ministre par Helmut Kohl après la réunification est d’abord une solution de compromis. Dans les rangs du parti, surtout à droite, on observe cette ascension avec suspicion et beaucoup ne croient pas à l’avenir politique de l’ancienne ministre de la Jeunesse puis de l’Environnement dans les années 1990. Angela Merkel est sous-estimée.
Dix ans plus tard, tout a changé. La chancelière en est à son troisième mandat. Sa popularité reste exceptionnelle. Dans son parti, personne ne lui fait de l’ombre. Et elle séduit bien au-delà de son électorat traditionnel. A tel point que cet été, un baron régional SPD se demandait si cela faisait sens que les sociaux-démocrates présentent un candidat face à Angie 1ère en 2017, la chancelière faisant d’après lui du bon travail.
Le style Merkel, consensuel et présidentiel
Cette popularité - environ 70% - s’explique sans doute par la bonne situation économique de l’Allemagne et la satisfaction d’une large partie des électeurs avec leur situation. Mais aussi sans doute par le style Merkel, plutôt présidentiel et consensuel. Le tempérament de la chancelière la pousse plutôt à temporiser, à attendre que la situation évolue sur un dossier concret, que les différents acteurs se soient exprimé, avant de trancher. Une attitude qui lui a été reprochée parmi ses partenaires européens durant la crise financière. Mais pour les électeurs elle tranche avec le « chancelier basta », Gerhard Schröder, aux déclarations parfois péremptoires et aux décisions rapides pas toujours suivies d’effets.
La personne même d’Angela Merkel, baptisée « Mutti » (« maman »), une sorte de mère de la nation qui rassure, à tort ou à raison, joue aussi un rôle, les Allemands ayant l’impression que sur des dossiers aussi complexes que la crise financière et la Grèce, elle prend de toute façon les bonnes décisions qui à l’arrivée seront positives pour le pays et ses citoyens.
Pragmatisme économique et social
Angela Merkel est aussi une pragmatique pure et dure. Si certains principes –les libertés fondamentales et les droits de l’homme voir la crise des réfugiés, la fidélité à Israel ou aux Etats-Unis- fondent son action, elle est d’une grande flexibilité dans la politique au jour le jour notamment sur le plan économique et social. Cela explique sans doute qu’elle ait pu gouverner à deux reprises à la tête d’une grande coalition, illustration du consensus à l’allemande, entre 2005 et 2009 et depuis 2013 comme avec l’allié traditionnel de la CDU, le parti libéral entre 2009 et 2013. Et une alliance avec les écologistes est possible en 2017 ce qui constituerait une première au niveau national.
Angela Merkel a considérablement modernisé son parti l’ouvrant à des questions sociétales comme une meilleure prise en charge des enfants afin de faciliter le travail des femmes ou une meilleure intégration des étrangers. La très souple Angela Merkel n’a pas hésité à « emprunter » des thèmes à ces adversaires - politique familiale au SPD, sortie du nucléaire aux Verts- plaçant la CDU un peu plus au centre de l’échiquier politique et rendant le parti plus attractif pour d’autres électeurs.
Sur le plan économique, la grande coalition actuelle avec l’introduction d’un salaire minimum généralisé ou un départ à la retraite plus tôt pour ceux qui ont commencé à travailler jeune a adopté des réformes imposées par les sociaux-démocrates. L’aile libérale de la CDU a grincé des dents. Mais à l’arrivée, peu importe l’inspiration des réformes mises en place, c’est « Mutti » qui ramasse la mise. Et le SPD, deux ans après les dernières élections végètent toujours dans les sondages à environ 25 %, les chrétiens-démocrates restant comme en 2013 au dessus de 40 %.
Quelle trace européenne ?
A deux ans des prochaines élections générales, la réélection d’Angela Merkel fait peu de doute, quels que soient les alliés avec lesquels elle gouvernera –une majorité absolue n’est pas non plus exclue mais « livrerait » la chancelière à ses inconfortables alliés bavarois. A moins que la crise des réfugiés et le pari d’Angela Merkel ne lui coûtent sa réélection, l’accueil de centaines de milliers de migrants se transformant en une tâche insoluble pour Berlin, de nombreux problèmes rognant à terme sa popularité et l’élan actuel de générosité.
Les dissenssions entre les pays européens sur une répartition plus équitable des réfugiés entre les pays membres le montrent comme la crise financière et grecque qui a dominé l’actualité ces dernières années : plus que la vie politique allemande et des réformes finalement modestes du modèle germanique, c’est l’Europe qui décidera de l’avenir politique d’Angela Merkel et de sa place dans les livres d’histoire.