Tchétchénie: le mariage polygame d'une mineure, «béni» par Kadyrov

La presse russe s'étend sur un mariage qui a eu lieu en avril dernier en Tchétchénie, république autonome de la Fédération de Russie située dans le Caucase du Nord. Une jeune mineure d’à peine 17 ans a été mariée - vraisembablement sans son consentement ni celui de sa famille - à un homme beaucoup plus âgé, et déjà marié.

Avec notre correspondante à Moscou,  Muriel Pomponne

D'après l’enquête de la journaliste russe qui a dévoilé l’affaire, la jeune Louisa Goïlabieva n’était pas consentante. Lors de la cérémonie, il a fallu lui reposer trois fois la question avant qu’elle ne réponde par un « oui » qui a scellé son union avec un chef local de la police, Najoud Goutchigov, quinquagenaire et déjà marié.

Ce serait d’ailleurs l’entourage de la jeune fille qui aurait cherché à diffuser l’information afin d’éviter cette union. C’est ainsi que le tout-puissant président tchétchène Ramzan Kadyrov a décidé d’envoyer un émissaire pour mener une enquête. Et d’après ce qu’il a expliqué lui-même à la télévision, la famille de la jeune fille était tout à fait d’accord avec ce mariage. Mais en Tchétchénie, il est surtout difficile pour une famille modeste de résister aux pressions d’un chef de la police proche du clan Kadyrov. Et d'ailleurs, c'est au bras du chef du gouvernement, Magomed Daoudov, que Louisa est arrivée dans la salle des mariages.

La polygamie, pratique interdite mais répandue

Pourtant, la polygamie est officiellement interdite et les mariages de mineures aussi, sauf cas exceptionnel. En 2010, Ramzan Kadyrov a formellement interdit la pratique qui consistait à enlever sa fiancée, et en 2012, il a formellement interdit le mariage avec une mineure. Mais dans cette affaire, il a déclaré que tout avait été fait conformément à la loi, conformément à l’islam et selon les traditions.

Les Tchétchènes soulignent néanmoins que les unions traditionnelles ont toujours lieu avec l’accord des deux familles et le consentement de la future épouse. Quant à la polygamie, bien qu’elle soit interdite, c’est une pratique assez répandue en Tchétchénie, y compris chez les fonctionnaires. L’argument invoqué est souvent le manque d’hommes à cause des deux guerres qui ont décimé le pays dans les années 1990 et 2000. Mais une seule épouse a un statut officiel ; les autres sont épousées religieusement mais pas civilement. Elles n’ont donc aucun statut légal.

Les Tchétchènes ciblés par la presse russe

Cependant, les autorités fédérales n’ont rien dit. Le médiateur pour les enfants a même déclaré : « Ne soyons pas hypocrites, il y a des régions comme le Caucase, où la puberté est précoce, et où les femmes de 27 ans, sont ridés comme les nôtres à 50 ans. »

A travers ses articles, la journaliste de Novaya Gazeta voulait dénoncer une injustice. Mais une bonne partie de la presse populaire ou des télés à scandales ont trouvé là une nouvelle occasion de présenter les Tchétchènes sous un jour négatif. Les Tchétchènes, déjà souvent qualifiés de terroristes ou d'assassins, apparaissent aux yeux des Russes comme des barbares. Et c'est ainsi que les préjugés négatifs persistent.

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