Insurrection séparatiste pro-russe en Ukraine: un an et 6000 morts

Il y a un an jour pour jour, le 6 avril 2014, des manifestants ukrainiens pro-russes investissaient l'administration régionale de Donetsk et le siège des services secrets ukrainiens à Lougansk. Douze mois plus tard, ces deux capitales du Donbass sont aux mains des forces séparatistes. Le conflit a fait plus de 6 000 morts, des dizaines de milliers de blessés et des centaines de milliers de déplacés.

Les chants patriotiques résonnent devant l’administration régionale de Donetsk. Depuis le 6 avril 2014, le bâtiment blanc de onze étages est aux mains des manifestants pro-russes. Sur les barricades, des panneaux avec des slogans « Donetsk ville russe » ou « Dehors l’Otan ».

Jour et nuit, quelques dizaines de personnes s’y relaient, à l’instar de Sergueï, un mineur de 29 ans qui tient les barricades. « Nous défendons nos droits civiques : nous voulons l'indépendance ou, au moins, l'autonomie pour la région de Donetsk », dit-il. « Nous voulons obtenir un référendum sur le statut de notre région et l'organiserons tout seuls, si besoin, comme en Crimée. »

L'exemple de la péninsule de Crimée

La Crimée, redevenue russe un mois avant le déclenchement de l’insurrection séparatiste dans l’est de l’Ukraine - après un référendum non reconnu par la communauté internationale -, est alors dans tous les esprits. Ce sont d’ailleurs des commandos ressemblant étrangement à ceux qui avaient opéré dans la péninsule ukrainienne qui s’emparent du siège de la mairie de Sloviansk en avril 2014 : des hommes armés, en uniforme de treillis verts, mais sans signe distinctif.

« Cette opération est une réponse à l'implication d'un Etat voisin sur le territoire souverain de l'Ukraine. Ils jouent en dehors de toutes règles. Malgré tout, nous nous efforcerons au cours de notre opération d'agir avec un grand discernement, pour faire en sorte qu'aucune personne innocente ne devienne une victime », expliquait alors Igor, cagoule noire couvrant son visage et un lance-roquette en bandoulière, affirmant, justement, venir de Crimée.

Autour, des centaines de personnes viennent féliciter ces hommes, qui feront de Sloviansk, jusqu'à sa chute en juillet 2014, le bastion des forces séparatistes à la tête desquelles on trouve le mystérieux Igor Strelkov, ancien officier des services de renseignement russes. A quelques dizaines de kilomètres de là, l’armée ukrainienne masse ses chars, lance une campagne militaire contre les séparatistes et pointe du doigt la Russie.

Intervention russe sur le sol ukrainien

Rapidement, les bombardements se multiplient. Les deux camps font usage d’armes de plus en plus lourdes, faisant de nombreuses victimes. Les Ukrainiens accusent la Russie de soutenir militairement les rebelles, ce que Moscou dément. Quant aux civils, ils fuient massivement la région, en voiture, en autocar ou en train.

« On a pris la décision de partir du jour au lendemain. On a vite rassemblé nos affaires quand on a vu que la situation devenait de plus en plus tendue, que ça tirait de partout. On entendait des déflagrations, c'était très angoissant », racontait alors une Ukrainienne, mère d’un nourisson de trois semaines. « On n'arrivait plus à dormir avec ce bébé si petit. J'ai toujours eu l'espoir que ça resterait calme à Donetsk, mais hélas... »

Dans le Donbass, la souffrance des civils

Pour ceux qui sont restés, obligés de se terrer dans des caves ou des abris antiaériens pendant les phases de bombardement, la vie quotidienne devient de plus en plus délicate. Le travail se fait rare. Kiev ne verse plus ni salaires ni pensions. Devant sa maison aux vitres remplacées par du film plastique, Ludmila explose : « Je ne suis pas une séparatiste, j'ai toujours aimé l'Ukraine, j'en étais fière, mais maintenant, je vais vous dire franchement : je la déteste. Oui, on y va ! Regardez ma fille : ce matin, elle se réveille et elle se met à dessiner un tank. Ce n'est plus possible. On a besoin de la paix. »

Si le calme relatif est revenu après la conclusion des nouveaux accords de Minsk, fin février 2015, les restrictions de circulation imposées par le pouvoir ukrainien à l’entrée de la zone séparatiste impliquent de grosses difficultés d’approvisionnement. Les habitants se sentent pris au piège. « Le gouvernement ukrainien nous rejette, comme si on était en trop. Il ne nous donne plus d'argent, bloque les marchandises et ne nous laisse plus circuler librement. Ils ne veulent plus que nous soyons avec eux », témoigne Tatiana, qui a perdu son mari dans un bombardement.

« A l'origine, ajoute-t-elle, on voulait obtenir quelques petites concessions, et c'est tout. Mais aujourd'hui, on veut juste avoir la paix. » Une paix précaire, entrecoupée de tirs sporadiques s'est installée dans la région. Mais les habitants du Donbass redoutent qu'elle ne soit que de courte durée.


•  Au moins six soldats ukrainiens sont morts ces dernières 24 heures

Les petites poussées de violence menées par des bandes désorganisées, armées de gourdins et de couteaux, semblent bien loin. Un an plus tard, la guerre a ravagé le bassin minier du Donbass et déchiré la population ukrainienne. Malgré le cessez-le-feu officiellement en vigueur, les échauffourées sont encore nombreuses. Et les populations civiles vivent toujours sous la menace d’explosions de mines antipersonnel enterrées dans la région, ou encore des pénuries de nourriture.

Le plus inquiétant pour l’avenir, c’est le gel du processus politique : le gouvernement ukrainien doit rétablir le paiement des aides d’Etat aux territoires séparatistes, à la condition que des élections locales s’y tiennent. Les dirigeants de Donetsk et de Lougansk, avec le soutien de la Russie, s’y refusent catégoriquement. De quoi douter de la capacité des belligérants à ouvrir un dialogue constructif, d’autant que les rumeurs de renforts et de préparations de nouvelles offensives vont bon train. Un an après, on semble encore très loin d’une paix durable dans le Donbass.

Kiev, Sébastien Gobert

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