De notre correspondant à Kiev
Relever les salaires des députés ukrainiens nouvellement élus, l’idée fait polémique. Pour le nouveau parlementaire Mustafa Nayyem, un des pères de la révolution de l'Euromaidan et héros de la lutte anticorruption, et plusieurs de ses nouveaux confrères, des revenus aussi bas pour les législateurs sont tout simplement une invitation à la corruption. Ces députés estiment qu'on ne peut pas vivre honnêtement à Kiev, la capitale, avec 300 euros par mois.
Mustafa Nayyem demande donc que les salaires des députés soient au moins triplés, afin de s'assurer que les parlementaires soient autosuffisants et donc indépendants pendant leur mandat. En effet, la politique ukrainienne est bien connue pour engendrer une corruption endémique. Pendant des années, les députés ukrainiens n'ont jamais caché leurs grosses voitures noires, leurs montres en or ou leurs villas. Cela a d'ailleurs été une des cibles de la révolution de l'Euromaidan.
Aussi l'annonce de Mustafa Nayyem a fait l'effet d'un choc. Que lui, le militant, un des pères de la révolution, figure très populaire et réputée très simple, demande une augmentation de salaire à peine élu, crée une forte polémique. Si tous comprennent son raisonnement, il lui est reproché d'avoir lancé le débat seulement après l'élection, alors qu'il devait probablement savoir où il mettait les pieds avant le scrutin.
Une proposition qui arrive au mauvais moment
Il lui est également reproché d'avoir lancé cette requête au mauvais moment, alors que le pays est dans un contexte de grave crise économique. Sous perfusion du FMI, le gouvernement a déjà dû augmenter les impôts et geler, voire réduire, les salaires de la fonction publique. L'Etat a à peine de quoi payer pour les salaires et l'équipement, ou même les chaussettes chaudes des dizaines de milliers de soldats qui sont mobilisés à l'est de l'Ukraine. Vouloir augmenter les salaires des députés en ce moment, cela ressemble donc pour certains à une plaisanterie de mauvais goût.
Précisons aussi que, depuis le mois de février, les députés sont sous étroite surveillance de la société civile, que ce soient des ONG citoyennes ou des militants radicaux. Eux mettent en avant qu'il ne faut pas régler les dérives de corruption au Parlement avec plus d'argent, mais avec plus de contrôle et une exigence de responsabilité. Pour l'instant, aucune décision n'a été prise. Mais en tout cas, tout le monde s'accorde sur le fait que ce Parlement doit être celui de la lutte anticorruption.
Un système oligarchique qui encourage la corruption
Pourtant, les oligarques ukrainiens restent très puissants et influents dans la vie politique ukrainienne. La composition des listes électorales l'a bien montré : les principaux oligarques ukrainiens ont placé leurs candidats ici et là. D'ailleurs le président Petro Porochenko est lui-même un oligarque. C'est un problème dans le sens où le système oligarchique encourage la corruption et décourage la modernisation de l'administration et de l'économie. L'Ukraine est encore loin d'une répartition équitable de la richesse ou d'une pratique plus ouverte et transparente de la politique.
C'est sans doute cela le plus gros bémol de l'argumentation de Mustafa Nayyem. Peu importe qu'un salaire de député soit triplé ou quintuplé, un oligarque ukrainien pourra toujours proposer plus si besoin est. Pour les Ukrainiens, l'enjeu, c'est bien une refonte du système existant, et cela dépasse la question des salaires.