Ukraine: «La population attend énormément, c’est tout le défi»

En Ukraine, les urnes ont parlé : 70% des voix aux élections législatives sont pour le camp pro-occidental. Pas moins de six partis entreront au Parlement. Les tractations sont en cours pour former une coalition, alors que les combats ont repris dans l’est du pays après deux jours d’accalmie. Entretien avec Marie Mendras, chercheur au CNRS et au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po (CERI).

RFI : Avec la victoire du bloc pro-occidental, peut-on dire qu’une page se tourne en Ukraine ?

Marie Mendras : Bien entendu. C’est surtout la continuation d’un processus qui a commencé pendant la révolte de Maïdan l’hiver dernier, puis l’élection légitime du président ukrainien en mai dernier, observée par de nombreuses organisations comme l’OSCE [Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme, NDLR]. On arrive presque au bout du processus électoral. Il y aura encore des élections locales, municipales au printemps prochain, donc c’est la victoire du processus démocratique.

Est-ce une victoire du président Petro Porenchenko tout particulièrement ?

C’est cela qui est intéressant : le Bloc du président ne fait pas plus de voix que le Front populaire de son Premier ministre Arseni Iatseniouk. Ils arrivent vraiment à égalité, autour de 21-22% chacun. C’est tant mieux pour l’avenir politique proche de l’Ukraine, parce qu’ils vont continuer à faire tandem. Ils ont tout de suite dit qu’ils feraient une coalition ensemble au Parlement, à laquelle se joindront deux ou trois autres formations politiques, ce qui fait qu’ils auront très certainement une majorité constitutionnelle confortable pour faire enfin passer les nombreuses lois nécessaires à la réforme.

La diversité des tendances politiques et les nombreuses divergences d’opinions ne vont-elle pas rendre compliquée la mise en place d’une politique cohérente en Ukraine ?

Pour ce qui est de la coalition gouvernementale, il y aura une certaine cohérence. Ce ne sera pas un Parlement « béni-oui-oui ». Même ceux qui acceptent de soutenir le nouveau gouvernement, qui sera probablement dirigé de nouveau par Iatseniouk, ne vont pas tout voter comme un seul homme. Ce sera la première fois depuis longtemps que la Rada ukrainienne [le Parlement, NDLR] se comportera comme une Assemblée législative et représentative. Il y aura bien entendu des débats, un contrepoids au pouvoir exécutif et c’est très bien. Ce qu’on constate surtout, avec le résultat de ces élections, c’est à quel point les formations politiques et les députés qui sont présentés indépendamment de formations politiques qui soutenaient l’ancien régime - le régime Ianoukovitch -, ont fait des scores très faibles, beaucoup plus faibles que ce que donnaient les sondages d’opinion.

Il faut aussi le souligner, la minorité en Ukraine aujourd’hui est du côté de l’ancien régime, très clairement. Et bien sûr, la plupart de ces électeurs qui  sont proches de l’ancien régime sont dans l’est de l’Ukraine. On a bien entendu toujours ce problème majeur à régler pour le gouvernement à Kiev, que sont les quelques millions d’habitants de l’Ukraine à l’est proches de la frontière russe, soit qui n’ont pas voté du tout parce que les élections n’ont pas été organisées, soient qui ont voté majoritairement contre eux.

Que faut-il attendre de la part de la Russie, suite à ces élections ? Ne s'agit-il pas, quelque part, d'une défaite des pro-russes ?

Oui, mais c’est une défaite politique de Poutine depuis des mois. Déjà, la victoire de Porochenko à l’élection présidentielle en mai, parce que c’était une victoire pour la démocratie en Ukraine, était une défaite pour Vladimir Poutine. Oui, probablement, Poutine le lit de nouveau comme une défaite. Comme au lendemain de l’élection de Porochenko, il y a de nouveau des coups de feu à l’aéroport de Donetsk, qui est comme un symbole, au fond, de la résistance à Kiev.

Je ne vois pas comment les autorités russes peuvent continuer à soutenir de manière régulière la rébellion armée dans l’est du pays. Ça va peut-être durer encore quelques semaines, mais ensuite la réalité va être qu’une petite partie de l’est de l’Ukraine ne sera plus gérée par Kiev. On ne sait pas très bien par qui ce sera géré. Et assez rapidement, les habitants de ces régions seront dans une situation de plus en plus difficile, parce que ni Kiev, ni Moscou ne s’intéresseront vraiment à les sortir de l’ornière.

Qu’est-ce que la population ukrainienne attend désormais ?

Elle attend énormément, c’est tout le défi. On a vu que la population s’était en grande partie mobilisée depuis un an. Vraiment, quand les Ukrainiens disent « on se bat pour des élections libres et on se bat pour l'Etat de droit comme en Europe », ils le pensent. Ça fait des années qu’ils souffrent de la corruption, d’un manque de développement des services publics, d’un appauvrissement général du pays. Donc, ils attendent énormément. Ils ne veulent surtout pas voir se reproduire des divisions au sein de l’élite dirigeante comme il y a eu toutes ces dernières années. 

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