De notre envoyé spécial en Bosnie-Herzégovine,
Le mercredi 14 mai, la rivière Bosna sortait de son lit et envahissait tout le centre de Maglaj, en Bosnie centrale. Durant deux jours, cette petite ville de 25 000 habitants a été recouverte par deux mètres d’eau. La décrue n’a commencé que le vendredi soir. Un mois plus tard, la ville est toujours sinistrée. Les habitants campent dans les étages supérieurs des immeubles, où se sont réfugiés chez des voisins, des parents, des amis. Les commerçants et les cafetiers achèvent de vider leurs locaux, empilant le mobilier ravagé sur les trottoirs. Une forte odeur de pourriture flotte encore dans l’air, où le vent soulève la poussière blanche des détergents répandus par les équipes de désinfection et de dératisation.
Pas de coordination de l'aide
Quatre femmes achèvent de déblayer la pharmacie municipale. Tout le stock de médicaments a été perdu. La sécurité sanitaire de la ville dépend des aides humanitaires, qui arrivent au compte-gouttes. « Il y a eu un grand élan de solidarité à travers toute la Bosnie, des volontaires sont venus nous aider, y compris des pays voisins. Par contre, il n’y a aucune coordination, personne ne sait qui est responsable de quoi, ni ce qui nous attend dans les mois à venir », explique la directrice, Sanija Tutundzic. « Nous avons connu la guerre, mais si l’on me donnait le choix, je préfèrerais encore revenir à cette époque », lâche-t-elle.
La population survit grâce à des distributions de nourriture et d’eau potable, mais celles-ci se font de plus en plus irrégulières. « Heureusement, poursuit Sanija, les gens sont solidaires. Ceux qui ont un peu donnent à ceux qui n’ont rien. Nous avons compris que nous ne pouvions compter ni sur nos autorités, ni sur l’aide internationale. » Une volontaire venue de Hollande partage le café avec les employées de la pharmacie. Samira est née à Maglaj, qu’elle a quitté pour la Hollande durant la guerre. Elle est arrivée la veille, avec un petit camion de médicaments, de matériel médical et de jouets, collectés auprès de la communauté bosniaque de ce pays. « Seule la diaspora nous aide », reconnaît la directrice de la pharmacie.
« C'est encore pire que la guerre »
Toutes les entreprises ont fermé leurs portes, et nul n’est encore en mesure d’évaluer les dégâts infligés par les eaux à l’usine de cellulose, qui employait près de mille personnes. Seuls quelques commerces ont rouvert depuis deux ou trois jours. « On trouve à nouveau des cigarettes et de la bière, c’est déjà ça », se réjouit Asim Avdic, qui travaille à déblayer l’hôtel Galeb, où il travaillait avant la catastrophe. « La ville est sinistrée pour dix ou vingt ans », lâche-t-il. « C’est encore pire que la guerre. Personne n’était assuré contre une telle catastrophe. Les gens qui avaient souscrit un crédit pour lancer une petite entreprise vont devoir emprunter à nouveau. Ces inondations sont du pain béni pour les banques », lâche-t-il avant d’ajouter : « Enfin... Emprunteront ceux qui auront encore la force de le faire. »
Un mois après la catastrophe, les habitants errent, déprimés, dans les rues de la ville, où ne roulent que de rares voitures. La plupart ont été noyées. Les chats et les chiens ont également disparu. L’énergie des premiers jours est retombée. Les employés de la bibliothèque municipale font sécher, feuille à feuille, les ouvrages les plus précieux, les archives et les études d’histoire locale. 12 000 livres ont pu être sauvés, mais 28 000 sont perdus.
Absence des responsables politiques
« Toutes les bibliothèques de Bosnie sont venues à notre aide. Certains nous ont envoyé du carrelage que nous poserons quand le sol, gorgé d’eau, sera assaini, d’autres des livres », explique Nina Saltic, la directrice. Les bibliothèques de la Fédération, l’entité croato-bosniaque de Bosnie-Herzégovine, mais aussi celles de Republika Srpska, l’entité serbe, se sont mobilisées. « Heureusement, poursuit la directrice, les divisions n’existent plus face à une telle catastrophe. Il n’y a que nos politiciens qui continuent à ne pas s’entendre. De toute façon, nous n’avons reçu aucune aide ni aucune consigne de la part des autorités du canton de Zenica-Doboj, dont nous dépendons, ni du gouvernement de la Fédération. Les politiciens ne pensent qu’aux élections de l’automne. »
Les écoles ont également fermé leurs portes. « L’année scolaire s’est achevée le 14 mai, et nous ne savons pas si les bâtiments scolaires pourront rouvrir en septembre », explique le maire de Maglaj, Mehmet Mustabasic. En théorie, les écoles dépendent du canton, mais aucun fonds d’urgence n’a été débloqué pour la reconstruction. Le maire lui-même reconnaît qu’il ne sait pas à qui s’adresser dans cette Bosnie aux institutions éclatées.
A Samac, en Republika Srpska, aucune aide humanitaire
Tout le cours de la Bosna n’est plus qu’une vallée de désolation. La rivière est largement sortie de son lit, emportant tout sur son passage. Des déchets ménagers sont accrochés dans les arbres, à deux mètres de hauteur. Le long de la route, le mobilier des maisons sinistrées se consume en petits brasiers. Les dégâts sont également visibles le long de la route nationale M17, qui suit le cours de la rivière jusqu’à la frontière croate. C’est là que la Bosna vient se jeter dans la Save, au niveau de la ville de Samac. Celle-ci dépend de la Republika Srpska, mais sa population est mixte. Depuis la fin de la guerre, beaucoup de Bosniaques sont revenus y vivre.
Samac offre un tableau encore plus accablant que Maglaj. Ici, l’eau a recouvert la ville durant plus de dix jours, jusqu’à la fin du mois de mai. « Et nous n’avons rien, absolument rien, aucune aide humanitaire », assure Hasija Muramovic, qui achève de déblayer sa maison. « Il y a un peu d’eau courante, mais qui n’est pas potable, et toujours pas d’électricité ». Au dispensaire municipal, ravagé comme celui d’une ville en guerre, le docteur Blagoje Simic assure que le risque épidémiologique est sous contrôle, mais que les cas de dépression sévère se multiplient. À la tombée de la nuit, des nuées de moustiques s’abattent sur la ville, et les serpents pullulent dans les rues, les jardins et les maisons abandonnées.
Mardi, les habitants du village de Topcic Polje ont bloqué la route M17, réclamant que le gouvernement fournisse enfin des bulldozers pour dégager leur village. Même si une conférence des donateurs est prévue, l’aide internationale demeure extrêmement limitée. Ni l’Union européenne – présente en Bosnie par le biais du bureau du Haut représentant (OHR) – ni les hommes de la mission militaire européenne Eufor-Althea ne sont visibles sur le terrain. Une absence qui vient s’ajouter à la tragique désorganisation des autorités locales.