Ukraine: des référendums sans aucun fondement légal

Au lendemain du vote d'autodétermination à Donetsk et Lougansk, marqué par un « oui » massif dans les deux villes qui ne veulent plus du rattachement à Kiev, les séparatistes ont officiellement demandé le rattachement de leur République autoproclamée à la Russie. Un vote que les pro-Russes ont appelé « un référendum ».

La Constitution du pays prévoit, certes, une possibilité d’un référendum sur la séparation d’une partie du territoire de l’Ukraine, mais tout vote de ce genre doit être organisé au niveau national. Les séparatistes ne peuvent pas décider eux-mêmes de réduire le territoire de l’Etat ukrainien sans l’aval de cet Etat et de toute sa population. Le récent référendum sur la sécession de la Crimée a été totalement illégal pour la même raison constitutionnelle.

Ni l’Etat ukrainien, ni la communauté internationale ne pourraient reconnaître ce référendum, même s’ils le voulaient, car aucune base juridique n’existe pour cela. La Russie occupe la Crimée de fait, mais sur le plan strictement légal elle ne dispose d’aucune justification pour prétendre que la péninsule soit devenue juridiquement partie de la Fédération de Russie. Sur le plan légal, la Crimée reste un territoire ukrainien occupé par la Russie. Et ce sera exactement la même chose pour les régions orientales de l’Ukraine si d’aventure, suite au vote de dimanche, elles demandent leur rattachement à la Russie.

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Et du point de vue du droit international

Là aussi, c’est un « non » clair et net, pour une raison très simple : pratiquement aucune condition pour qu’un vote soit digne du nom de « référendum » n’a été remplie lors du vote de dimanche. Les organisateurs se sont servis de vieilles listes électorales, sans la moindre vérification ou actualisation. Il n’y a eu aucun observateur indépendant, aucun contrôle sérieux de la procédure de vote. La télévision ukrainienne a montré de nombreuses vidéos qui montraient des électeurs en train de sortir plusieurs bulletins préremplis de leurs poches pour les mettre directement dans l’urne.

On connait aussi des cas de citoyens russes ou azéris qui ont pu voter sans même qu'on leur demande de montrer une pièce d’identité. Enfin, les bureaux de vote étaient très peu nombreux. Par exemple, à Marioupol, ville de 440 000 habitants, où dans les conditions normales une centaine de bureaux de vote sont ouverts, il n’y en a eu dimanche que quatre. Bref, il s’agit d’une opération de pure propagande, sans aucune conséquence légale.

Destabilisation de grande ampleur

Dans le contexte extrêmement tendu dans le pays, comment imaginer l’élection présidentielle, prévue le 25 mai prochain ? Le seul signal positif des derniers jours, c’est la déclaration du président russe Vladimir Poutine que le scrutin est « en soi, un pas dans la bonne direction », alors qu'il y a encore quelques jours, il considérait la tenue de la présidentielle insouhaitable, voire impossible.

Le président russe constate sans doute que le scénario criméen ne pourra pas être rejoué en Ukraine orientale et que plusieurs éléments de la situation y échappent à son contrôle. Il cherche donc à maîtriser le jeu avec d’autres moyens, en commençant par une timide ouverture sur la présidentielle. Ceci dit, il n’ira probablement pas beaucoup plus loin, car une reconnaissance de la présidentielle aurait signifié une reconnaissance implicite de la légitimité du gouvernement provisoire, qu’il accuse systématiquement d’être issu d’un « coup d’Etat ».

L’objectif stratégique de Poutine reste toujours le même : garder l’Ukraine dans la zone d’influence russe. Le président russe adapte les moyens d’atteindre cet objectif à la situation, qui devient, de son point de vue, de moins en moins favorable, malgré les efforts de ses services à déstabiliser les structures de base de l’Etat ukrainien.

Néanmoins, cette déstabilisation a atteint une telle ampleur que les autorités ukrainiennes ne peuvent pas être sûres de pouvoir compter, à l’est et au sud du pays, sur leur propre administration, sur leur propre armée et sur leurs propres services de sécurité. Elles sont seulement en train de mettre de l’ordre dans ces milieux. Dans ce contexte, organiser un scrutin national dans de bonnes conditions relève d’un énorme exploit.

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■ Décryptage : Quelle est la stratégie de Poutine ? Quels seraient les avantages et les inconvénients d'une fédéralisation de l’Ukraine pour la Russie ? Comment est considérée la position russe par les autres pays que les Occidentaux et des négociations sont-elles possibles ? Quelle forme pourrait prendre une sortie de crise ? Quel sens a encore le scrutin du 25 mai prochain ? Quel est l'objectif réel de Poutine ? Quel effet auront les sanctions de l'UE ?

Entretien avec Pierre Lorrain, journaliste et écrivain, spécialiste de la Russie.

 

 

 

 

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