Interrogé le 6 mai sur BFM TV, François Hollande n’a laissé planer aucun doute sur la détermination de l’Occident et de la France à imposer de nouvelles sanctions à la Russie si elle continuait à multiplier des obstacles au bon déroulement du scrutin. Selon le président français, « les Russes, Vladimir Poutine, aujourd’hui, voudraient que cette élection puisse ne pas avoir lieu ». Pour François Hollande, c’est donc « à nous de les convaincre ». Le président a lui-même fait signifier à Vladimir Poutine « par des voies indirectes » combien l’élection du 25 mai en Ukraine était « majeure » pour la France. « Pour l’instant, expliquait le chef de l’Etat, je pense qu’il doit être sous la pression, et donc la pression doit être exercée à travers les sanctions ».
Poutine lâche-t-il du lest ?
Visiblement, la détermination a payé, car déjà au lendemain de l’interview de François Hollande, Vladimir Poutine s’est montré un peu moins défavorable à la tenue du scrutin que d’habitude. En effet, depuis l’annonce de la présidentielle en Ukraine, les autorités russes estimaient que le fait de la maintenir, alors que le pays est plongé dans le chaos et dirigé par une équipe qualifiée à Moscou de « fasciste », n’avait aucun sens. Or, le 7 mai, Vladimir Poutine a surpris tout le monde en déclarant : « Je veux souligner que l’élection présidentielle décidée par Kiev est en soi un pas dans la bonne direction ». Toutefois, il y a toujours un « mais » : « Mais elle n’apportera une solution que si tous les citoyens ukrainiens comprennent comment leurs droits seront garantis après ce scrutin présidentiel ».
Formule assez floue, mais il semble que Vladimir Poutine laisse entendre qu’il serait prêt à accepter la tenue de l’élection à condition que des droits spécifiques soient garantis aux pro-Russes de l’est et du sud de l’Ukraine. C’est le programme minimum du Kremlin à moyen et long terme : même si les plans de dislocation, de démembrement, voire d’occupation de l’Ukraine échouent, nous devrons garder de fortes enclaves russes au sein du pays, pour continuer à le contrôler et pour préserver notre capacité de le diviser et déstabiliser en cas de besoin.
Enjeux du scrutin
Le président russe constate sans doute que le scénario criméen ne pourra pas être rejoué dans ces régions et que plusieurs éléments de la situation échappent à son contrôle. Il cherche donc maîtriser le jeu avec d’autres moyens, en commençant par une timide ouverture sur la présidentielle. Du point de vue de Moscou, l’enjeu est de taille et exige une navigation très prudente entre différents écueils qui risquent d’apparaître à tout moment juste devant la proue du bateau.
Selon Kevin Limonier, chercheur à l’Institut français de géopolitique, « si élection présidentielle il y a, c’est aussi une reconnaissance implicite de la légitimité du gouvernement provisoire » issu de la révolution de Maïdan. Donc, l’importance du scrutin n’est pas seulement symbolique, mais aussi politique. En effet, « organiser cette élection permettrait de montrer que le gouvernement ukrainien est capable d’organiser partout sur son territoire une opération politique de grande ampleur ».
Contraint et forcé, le Kremlin se dirige donc peut-être vers une reconnaissance au moins purement formelle des nouvelles autorités de Kiev. Ceci dit, quand Moscou fait un pas en arrière en Ukraine, il faut s’attendre à la voir exécuter bientôt deux pas en avant. Car l’objectif stratégique de Poutine reste toujours le même : garder l’Ukraine dans la zone d’influence russe.
Sabotages
Le président russe adapte les moyens d’atteindre cet objectif à la situation, qui devient, de son point de vue, de moins en moins favorable, malgré les efforts de ses services à déstabiliser les structures de base de l’Etat ukrainien. Dmytro Tymtchuk, directeur du Centre de la recherche militaire et politique à Kiev, expliquait l’ampleur du phénomène lors d’une récente conférence de presse : « Depuis deux mois, nous constatons des sabotages de la part de policiers à l’est et au sud du pays. Tout le monde comprend déjà qu’il est difficile de compter sur les forces de sécurité locales. Les services russes et les organisations séparatistes pro-russes déploient une énorme activité pour attirer les responsables locaux de nos organes de sécurité. Il faut comprendre que quand un responsable de toute une structure se convertit au sabotage, des policiers ordinaires, même patriotes, ne peuvent plus rien faire ».
Dans ce contexte, organiser un scrutin dans de bonnes conditions relève presque d’un miracle. Mais, en deux semaines, il peut se passer beaucoup de choses en Ukraine. Même un miracle…