Jusqu'ici, Barack Obama a plutôt boudé l'Europe. Et quand on lui pose la question de savoir pourquoi, il réagit souvent de manière agacée. « Je me souviens d’une conférence de presse que le président américain a donné en 2010 à Lisbonne », raconte Axel Krause, depuis de longues années correspondant pour différents médias américains à Paris. « A un moment donné, un journaliste a demandé : "Mais pourquoi ignorez-vous l’Europe ?". Visiblement exaspéré par la question, Barack Obama a répondu : "Because we agree on everything", ["parce que nous sommes d’accord sur tout"]. Et il a tourné les talons et est parti. C’était la fin de la conférence de presse. »
En réalité, les priorités de Barack Obama sont ailleurs. A son arrivée à la Maison Blanche en janvier 2009, il décide de retirer les Etats-Unis des grands conflits internationaux pour centrer les efforts diplomatiques et économiques de son pays sur l'Asie-Pacifique. L'Orient et ses puissances émergentes sont pour le jeune président américain la terre d'avenir. Du coup, l'Europe ne figure plus parmi les priorités de Washington.
Une « Europe à la carte »
Cela n'empêche pas l'administration Obama de faire appel aux Européens en cas de besoin. Pour résoudre un problème ou une crise spécifique, le président s’adresse directement aux dirigeants des différents pays, mais pas aux institutions européennes dont la politique est jugée inefficace par les Etats-Unis, comme en a témoigné le fameux « Fuck the EU » [« que l’Union européenne aille se faire voir »], de Victoria Nuland, la secrétaire d’Etat adjointe américaine en charge de l’Europe, au début de la crise ukrainienne.
« En quelque sorte, Barack Obama a mis en place la stratégie d'une Europe à la carte », estime l'américaniste Anne Deysine, professeur à l'université de Paris Ouest-Nanterre. « Il a été amené à s'adresser à la chancelière allemande Angele Merkel pour des problèmes économiques, au président français Nicolas Sarkozy lors de la crise en Géorgie et la révolution en Libye, à son successeur François Hollande pour les interventions en Afrique. Et quand il a besoin de soutien au Conseil de sécurité de l’ONU, il fait appel aux Britanniques. Mais c'est rarissime qu'il essaye de traiter au niveau des institutions européennes. »
La sécurité de l’Europe plutôt que le traité de libre-échange
L’un des rares dossiers que l’administration Obama gère directement avec l’UE est celui de la mise-en-place du traité de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Initialement, le programme officiel du président américain ce mercredi à Bruxelles prévoyait d’ailleurs un discours de Barack Obama pour promouvoir justement cet accord économique que le président appelle de ses vœux. Mais la crise ukrainienne a bouleversé l'agenda. Discours, il y aura toujours en fin d’après-midi au palais des Beaux-Arts à Bruxelles. Mais au lieu de vanter les vertus du traité de libre-échange, Barack Obama livrera sa vision des relations transatlantiques.
Depuis l'annexion de la Crimée par la Russie et le déploiement massif de l’armée russe le long de la frontière orientale de l’Ukraine, les Etats-Unis sont obligés de réinvestir la scène européenne. Et Barack Obama a fort à faire pour rassurer les Européens... oui, les Etats-Unis se tiennent toujours aux côtés de leurs partenaires quand la sécurité et la stabilité de l'Europe sont en danger. Non, l'administration Obama n'a pas oublié ses alliés traditionnels. Tel est le message que le président souhaite passer à ces partenaires mais aussi à son homologue russe Vladimir Poutine.
Vers une remise en question de la stratégie Obama ?
Mais, pendant que Barack Obama célèbre l’union sacrée entre Américains et Européens, une polémique a éclaté chez lui, aux Etats-Unis. Certains remettent en question des choix stratégiques du président. Pour ses détracteurs, la crise ukrainienne démontre l'échec de la politique menée par l'administration Obama vis-à-vis de la Russie et surtout l'erreur d’avoir tourné le dos à l'Europe. L’éditorialiste du très réputé Washington Post a même suggéré en début de semaine qu’il restait « encore trois ans à Barack Obama pour changer de cap » en matière de politique étrangère.
D’autres, estiment au contraire que la crise ukrainienne ne doit pas interférer dans l’orientation générale de la politique étrangère américaine. « C’est vrai que les Etats-Unis doivent se recentrer sur l'Europe en raison de la crise actuelle », admet Philippe Golub, professeur à l'université américaine de Paris. « Mais ceci ne veut pas dire que les grandes options stratégiques américaines vont changer. Pour la simple et bonne raison que l’axe du monde est en train de changer de l’Occident vers l’Asie. Et dans ce contexte il faut faire la différence entre les préoccupations à court et moyen terme et celles à long terme des Etats-Unis ».
Barack Obama lui même ne souhaite pas mener une stratégie au détriment d'une autre. « Le fait que les Etats-Unis jouent un rôle élargi en Asie ne les détourne en aucun cas de leur engagement en Europe », a-t-il déclaré dans une interview au quotidien néerlandais Volkskrant.