Avec notre envoyé spécial à Simferopol, Daniel Vallot
Shoyma Vadim est membre d’Unité russe, le parti du Premier ministre séparatiste de Crimée, Serguiï Axionov. « Nous voulons être rattachés à la Russie car nous voulons nous unir à nos frères, lance-t-il. La Crimée a toujours été russe. Nous avons été livrés à l’Ukraine comme si nous étions des esclaves. Maintenant tout cela va changer à cause de ce qui s’est passé à Kiev, de ce pouvoir illégal qui s’est installé là-bas. C’est donc un moment historique pour la Crimée. Nous avons le droit de voter pour notre souveraineté et pour intégrer la Fédération de Russie. »
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Mais les propos de ce militant, sans détours, ne se retrouvent pas dans toutes les bouches en Crimée. En effet, Shoyma Vadim appartient au parti le plus radical de la frange russophone, un parti séparatiste qui n’avait reçu, aux dernières élections, que très peu de suffrages mais qui est aujourd’hui aux commandes en Crimée, puisque c’est son dirigeant qui a été désigné Premier ministre de la région la semaine dernière.
« La catastrophe »
En réalité, lorsqu’on s’éloigne des rassemblements pro-russes, que l’on demande aux habitants de la capitale Simferopol ce qu’ils souhaitent pour l’avenir de la Crimée, on se rend compte très vite qu’ils sont nombreux à ne pas souhaiter le rattachement à la Russie.
« En un mot ce serait la catastrophe, témoigne Taras, un jeune ingénieur de Simferopol, parce que il faudrait changer tellement de choses, comme les papiers d’identité par exemple. Tout cela m’inquiète beaucoup. Aujourd’hui, je n’ai pas pu aller travailler, ce n’était pas possible de faire comme si de rien n’était. »
Elena, habitante de la capitale régionale elle-aussi, est pour le moins hésitante : « Je ne sais pas ce qui serait le mieux. Je suis habituée à l’Ukraine, et rejoindre la Russie serait vraiment bizarre. Ils ont leurs propres règles et peut-être un peu moins de liberté qu’ici. D’un autre côté, il y a plus de stabilité en Russie, les gens ont peur de l’instabilité en Ukraine. »
Les russophones de Crimée sont, il est vrai, très inquiets de ce qui se passe aujourd’hui à Kiev, ils ont peur pour leur langue, pour leur culture. Ils considèrent que la Russie est leur pays d’origine, un pays frère, un pays protecteur mais ils ne souhaitent pas forcément pour autant se jeter dans les bras de Poutine. Ceux-là aimeraient plutôt se contenter d’une autonomie accrue vis-à-vis de Kiev.
Les Tatars en première ligne
Mais il ne faut pas oublier les minorités : les Ukrainiens de Crimée et surtout les Tatars (populations d’origine turque). Ceux-là sont bien entendus hostiles à l’idée d’un rattachement à la Russie. Pour eux, ce serait un scénario cauchemardesque.
La grande prière du vendredi qui s’est déroulée en présence du leader politique de la communauté tatare, Refat Tchoubarov, a été marquée d'ailleurs par ce contexte politique.
Les Tatars ont été massivement déportés sous Staline et ne sont revenus en Crimée qu’après la chute du bloc soviétique. Ils s’estiment donc en première ligne face au camp pro-russe qui s’est emparé du pouvoir la semaine dernière dans la province et face à ces forces d’autodéfense formées par le camp pro-russe, des miliciens qui patrouillent dans la rue et qui représentent la frange la plus radicale des séparatistes de Crimée.
« Mes grands parents ont été déportés par Staline en 1945. Je n’imagine pas une seconde que l’histoire puisse bégayer mais je crains au quotidien pour la sécurité de ma famille et pour la sécurité de mes enfants », disait un jeune Tatar à la sortie de la prière.
Les Tatars s’orientent vers un boycott du referendum du 16 mars. Ce vote est illégal, pensent en effet les dirigeants politiques de la communauté qui estiment impossible d’organiser un scrutin équitable et transparent dans le contexte actuel. « Comment voulez-vous voter pour notre avenir, alors que des soldats russes occupent les principales bases militaires de la région », disent-ils.