Après avoir d'abord annulé, pour « raisons de santé », une réunion électorale prévue dans la ville de Mersin (sud) - ce qui constitue la deuxième annulation depuis le début de la semaine - les télévisions ont montré en direct, ce jeudi en début d'après-midi, Recep Tayyip Erdogan tenant un meeting dans la petite ville de Burdur, dans l'ouest du pays. Pour la première fois, près de 18 heures après la diffusion d'un nouvel enregistrement sonore compromettant le concernant, il a profité de cette occasion pour commenter cette bande-son en employant les termes de « montage » et de « piège ». Il a donc nié que l’enregistrement diffusé la nuit dernière sur YouTube lui appartienne. Le Premier ministre avait déjà vigoureusement démenti avoir tenu les propos cités dans un premier enregistrement diffusé lundi soir, qu’il avait qualifiés de « montage répugnant », et il avait ordonné l'ouverture d'une enquête.
Concernant ce premier enregistrement de lundi, présentant déjà supposément le Premier ministre et son fils Bilal, un site pro-gouvernemental d'informations, Haber7, avait affirmé avoir recueilli les résultats d’expertise de deux laboratoires américains prouvant que la bande-son était le résultat d’un montage. Mais ces deux sociétés, John Marshall Media et Caleïdoscope Sound, ont démenti jeudi matin avoir été sollicitées pour une telle expertise. Pour l’instant donc, il n’y a aucune confirmation de l’authenticité de ces enregistrements, ni de la réalité d’un « montage » ou d’un « doublage », comme c’est aussi parfois présenté du côté du gouvernement. Le ministre de l'Industrie et de la Technologie, Fikri Isik, avait de son côté estimé avoir eu « immédiatement le sentiment », en écoutant ce document, qu'il s'agissait d'un montage, jugeant qu'une recherche plus approfondie n'était pas nécessaire. De nombreux éditorialistes de la presse turque appellent cependant à ce que toute la lumière soit faite sur ces allégations de falsification pour éviter, comme tout le monde le prévoit, que « la guerre des enregistrements pirate » ne continue.
Ce que l’on peut constater, à l’écoute de ces deux récents extraits sonores d'une durée totale d'environ 10 minutes, c’est que la voix et la diction attribuées au Premier ministre ressemblent bien à sa manière de parler, et que les éléments de calendrier cités correspondent à l’actualité du 17 décembre, avec les perquisitions chez les fils de plusieurs ministres qui ont par la suite dû démissionner, et qu'ils pourraient confirmer les soupçons pesant sur Bilal Erdogan, fils du Premier ministre. Mais plus encore : il est certain que ces nouveaux enregistrements - si les personnes qui parlent au téléphone sont bien le Premier ministre et son fils, comme c’est présenté sur les deux vidéos, et comme on semble les reconnaître au son de leur voix - contiennent des révélations d’une gravité extrême pour M. Erdogan lui-même.
De «grands» procès pour ceux qui attaquent Erdogan
Pourquoi ? Parce que la personne qui est appelée « père » par l’homme plus jeune lui demande de « faire disparaître » des sommes d’argent qui sont gardées dans sa propre maison ; la voix présentée comme étant celle du chef du gouvernement évoque les perquisitions en cours le 17 décembre chez les fils de ses ministres (ils sont nommés dans cette conversation) ainsi que certains hommes d'affaires, et précise bien de faire « vite », de faire « tout disparaître », et de ne pas citer les noms des personnes chez qui cet argent devra être mis en sécurité (des parents et des hommes d'affaires proches de la famille) parce que, dit la voix plus âgée, le téléphone est « sur écoute ».
Un scénario qui confirmerait, si ce n’est de quelconques allégations de corruption, de trafic ou de malversation - car on ne connaît pas l’origine de cet argent – au moins que le premier interlocuteur s’inquiète de la présence de cet argent à son domicile et informe son correspondant de perquisitions en cours, et qu'enfin il cherche à entraver la justice. Rappelons que le fils du Premier ministre, Bilal, cité dans l’instruction de l’enquête lancée le 17 décembre, a déposé il y a quelques semaines devant un des procureurs en charge de l’instruction.
Ce jeudi, lors de sa réunion de campagne à Burdur, M. Erdogan a en tous cas une nouvelle fois dénoncé le « complot » qui le vise lui et l'ensemble de l'Etat turc, et appelé ses électeurs à ne pas tomber dans le piège, à voter massivement pour le Parti de la justice et du développement lors des élections locales du 30 mars. Il a également une nouvelle fois appelé, sans le nommer expressément, le leader de la confrérie Hizmet, le prédicateur Fethullah Gülen (qui vit en exil aux Etats-Unis) à rentrer au pays et à s'engager en politique, si tel est son but, mais « sans déstabiliser le pays ». Et Recep Tayyip Erdogan a surtout promis « de grands procès » pour ceux qui l'attaquent, citant alternativement la confrérie Hizmet qu'il a qualifiée de « gang » et l'opposition sociale démocrate du Parti républicain du peuple (CHP).