Turquie: la loi sur le contrôle du net provoque la colère sur la Toile

Le président turc a promulgué le 18 février une loi très décriée sur le contrôle d’Internet, que le Parlement avait adoptée au début du mois sur proposition du gouvernement. Le chef de l’Etat était soumis à une forte pression pour ne pas approuver ces dispositions que l’opposition et de nombreuses organisations de défense des libertés considèrent comme liberticides. Mais, en l’échange d’hypothétiques aménagements promis par le ministre de la Communication, le texte a été approuvé, et sur la Toile, l’émotion est grande.

De notre correspondant à Istanbul,

Pour l’anecdote, dès les premières heures après l’adoption de la loi, le président Abdullah Gül a perdu près d’une centaine de milliers d’abonnés qui le suivaient sur son compte Twitter, et ce pas seulement parce que le président a signé cette loi polémique, mais aussi parce le chef de l’Etat communique beaucoup via Twitter, et les internautes ont utilisé cet argument et nourri cet espoir qu’il opposerait son véto.

Les deux semaines qui ont suivi l’adoption de la loi à l’Assemblée et sa promulgation par Abdullah Gül, beaucoup d’appels à la raison ont été adressés au président pour qu’il refuse de la valider, mais malheureusement les calculs politiques sans doute ont prévalu. Abdullah Gül, même s’il reconnaît – il l’a dit publiquement – que cette loi entrave la liberté de la presse, ne veut pas entrer en opposition frontale avec le chef du gouvernement, car l’élection présidentielle approche. Depuis mardi soir les sites internet qui affichent un bandeau noir en signe de deuil et condamnent la censure sont très nombreux.

La Turquie en pointe dans la censure

La Turquie avait déjà mauvaise réputation, c’est l’un des pays qui censure le plus le net dans le monde. Parmi les dispositions contenues dans ce texte, il y a par exemple, et essentiellement : tout site publiant un article ou une information jugée inappropriée car « dégradante » – une notion extrêmement floue - sera averti de retirer cette page sous 4 heures avant d’être fermé.

→ A (RE)LIRE : Turquie: main basse sur la Toile

Ainsi le site du journal Radikal prévient ses lecteurs de lire vite les informations publiées qui, si elles sont sensibles, n’auront une durée de vie que très limitée. Ensuite, la sanction c’est le blocage du site sans décision de justice préalable. Un amendement de dernière minute devrait imposer – c’est en tous cas ce que le président Gül aurait obtenu mardi du ministre de la Communication juste avant de promulguer – que l’autorité de surveillance d’Internet soit obligée de solliciter une confirmation de la justice dans les 48 heures après la fermeture, mais personne ne croit que cette mesure ne sera finalement adoptée. Par ailleurs, les données des utilisateurs du net seront conservées pendant deux ans, et resteront donc à la disposition de l’administration et de la justice turques.

Condamnations internationales

L’Union européenne, qui avait déjà appelé à ne pas censurer le net, a immédiatement réagi en condamnant fortement cette censure, et les Etats-Unis ont eux aussi dit qu’ils attendaient que la Turquie respecte plus de liberté sur le net. Pourquoi ce tour de vis ? Le gouvernement, et en premier lieu le Premier ministre, n’ont jamais caché leur aversion pour le net, ils répètent à l’envi que la pire des « dépravations » ou le pire des « dangers », c’est Internet, selon les propres termes employés par Recep Tayyip Erdogan ou son vice-Premier ministre Bülent Arinç.

A l’origine de ce raidissement, il y a surtout les manifestations de Gezi, en juin dernier, où la mobilisation contre le gouvernement s’était beaucoup faite via les réseaux sociaux. D’ailleurs se tient en ce moment à Izmir un procès de plusieurs dizaines de jeunes accusés d’avoir prévenu de l’arrivée de « justiciers » civils armés de bâtons contre les manifestants, ce qui constituerait une « insulte » à l’encontre du Premier ministre. Et puis il y aussi le scandale politico-financier de décembre dernier, à l’origine de la diffusion de nombreuses informations via le net sur les malversations de ministres et même du propre fils du Premier ministre, qui ont incité le Premier ministre à décider mettre la toile en coupe réglée.

Partager :