A Tuzla, une centaine de jeunes encagoulés, portant des insignes de l’équipe locale de football, ont pénétré dans l’immeuble du gouvernement cantonal où ils ont saccagé le mobilier et jeté des téléviseurs par les fenêtres. Des flammes et une épaisse fumée noire s’échappaient du premier étage de la tour qui en compte dix.
Les protestataires à l’intérieur de l’immeuble ont empêché les pompiers d’éteindre les flammes. Ces scènes se sont déroulées sous les yeux de plus de 5 000 manifestants qui applaudissaient. La foule réclamait la démission du gouvernement.
« On n'a rien »
« Ça a été terrible. D’abord les policiers nous ont attaqués, mais on a répliqué et on a mis le feu au Parlement. Y a rien dans ce pays, pas de travail. Rien, rien. Le peuple n’a pas de quoi manger. On n’a pas de médicaments. Rien. On n’a rien, je vous dis », raconte un jeune émeutier à notre correspondant, Laurent Rouy.
Un peu plus loin, un père de famille, pourtant opposé à la violence, dit comprendre les manifestants. « Il fallait que ça arrive, mais je n’aurais pas pensé qu’il y ait tant de violence. Il fallait en passer par là. Est-ce que maintenant on va avoir des changements ? Honnêtement j’ai de gros doutes. Ce sont toujours les mêmes politiciens qui vont et viennent », dénonce-t-il.
Toute la journée, les employés de la Galerie des portraits ont décroché les tableaux les plus précieux, de peur qu’un incendie ne soit allumé aussi dans le musée. Car, les émeutiers s’en sont pris à d’autres bâtiments. La mairie, les archives, ont été incendiés. Le commissariat et le bureau du procureur endommagés.
La colère s'étend
Tout avait commencé mercredi à Tuzla avec les protestations devant le Parlement local de 2 000 chômeurs opposés aux privatisations frauduleuses et à la faillite de leurs entreprises. Très vite, les chômeurs de Tuzla ont suscité des manifestations de soutien dans presque toute la Bosnie, un soutien qui a abouti à des affrontements avec la police dans au moins cinq villes.
À Sarajevo, le Parlement et la présidence ont brûlé. À Mostar et Zenica, les Parlements ont aussi été incendiés par les émeutiers. À Tuzla et Zenica, les Premiers ministres de canton ont démissionné. Les protestataires réclament aussi la chute du gouvernement fédéral, la fin de la corruption et des politiques nationalistes appliquées dans le pays. La Bosnie enregistre aussi des taux de chômage estimés entre 27 % et 44 % de la population active.
D’autres manifestations sont prévues ce samedi, alors que la classe politique, qui dit comprendre les revendications des manifestants, a condamné les violences.
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■ ANALYSE : Les racines des événements en cours
Hugues Sachter est maître de conférences à l’Université d’Artois, spécialiste des Balkans et a vécu plusieurs années en Bosnie, notamment à Tuzla.
« C’est la déception de vouloir vivre normalement. Le problème, c’est que tous les dirigeants du pays, quelle que soit leur appartenance religieuse, se sont arrangés pour rester dans un système, en fait, post-bolchévique. Les dirigeants de Tuzla sont parmi les rares qui ont une relative volonté de développement économique mais il se trouve qu’ils ne s’en donnent pas les moyens. »
« Le problème, poursuit Hugues Sachter, est que l'on continue à perpétuer l’idée que l’avenir réside dans les richesses naturelles telles que le charbon ou le bois, mais que l’on ne les exploite pas du tout comme il faudrait, et les perspectives de s'en sortir sur le plan économique sont, à l’heure actuelle, absolument nulles ».
Autre constat alarmant pour le spécialiste : « Rien n’est fait pour les jeunes et d’autant moins qu’on est en pleine dépression démographique. Le pays perd démographiquement 3 000 personnes par an. »