RFI : Que s'est-il passé à Kiev ce mercredi ?
Olivier Védrine : Les manifestants ont repoussé les forces de sécurité à la mairie et ailleurs. Et il y a un appel à faire une grande manifestation aujourd'hui, mercredi, sur la place de l’Indépendance. Donc on voit qu’il y a une grande détermination du côté des manifestants. Et quand on discute avec les manifestants, comme avec les leaders de l’opposition, c’est une détermination qui va crescendo.
Est-ce que les manifestants ont été surpris par l’intervention des forces anti-émeutes ?
Non, je me suis retrouvé plusieurs fois au centre de presse, il y avait des bruits de couloir et on s’attendait à une intervention de toute façon des forces de sécurité. Donc personne n’a été surpris de cela. Il y avait eu déjà des informations comme quoi les forces de police allaient essayer de déloger les manifestants sur la place Maïdan.
Pourtant la journée d’hier, mardi, avait été marquée par plusieurs discussions : le dialogue engagé notamment par l’actuel président avec ses prédécesseurs et la visite sur place de plusieurs représentants de la diplomatie internationale...
Tout à fait. On pouvait être assez optimistes et j’ai pu parler avec différents leaders en Ukraine, comme Vitali Klitschko ou d’autres leaders et attachés de presse des principaux groupes politiques et je leur ai demandé : « Il y a une chance pour négocier ? ». Tous m’ont dit : « Vous savez, il y a l’héritage soviétique où le rapport de force est choisi plus que la négociation. Vous, en France, vous ne comprenez pas cela parce que vous négociez tout le temps, mais ici en Ukraine nous avons encore cet héritage soviétique où c’est le rapport de force qui compte avant tout ».
Et même justement, la présence de ces diplomates venus des Etats-Unis, venus d’Europe, cela ne pourrait-il pas être pris comme un affront ?
Il faut qu’il y ait véritablement au niveau de l’Union européenne et au niveau des autres pays européens un écho de ce qui se passe ici, c’est clair. J’ai eu une interview au journal Den, qui est un grand journal – l’équivalent du Figaro et du Monde en France –, où j’ai déclaré que l’objectif s’était véritablement découpé avec l’héritage soviétique. Et on ne peut pas penser ici comme on pense en France. Le rapport de force reste central et c’est celui qui va être le plus fort et tenir le plus longtemps qui va gagner. Il faudrait qu’il y ait le plus de relais possibles diplomatiques en Europe pour pouvoir commencer une négociation. C’est quand le rapport de force sera important qu’il y aura une négociation.
On perçoit justement la détermination des deux côtés. Les manifestants ont-ils physiquement la capacité de tenir ? Parce qu’il y a tout de même des conditions très concrètes : la météo à Kiev qui fait que, sur la durée, cette occupation des places publiques peut s’avérer très complexe.
Oui, il fait -9°C. Hier, il faisait -8°C. La température et la neige... Je ne veux pas dire qu’on ne sent rien, mais les gens sont tellement déterminés qu’ils vont être capables de rester par -15°C. Après vous avez une organisation, une logistique qui est extraordinaire avec des cantines sur toute la place, dans la mairie, dans le centre de presse, un ravitaillement continuel, du thé chaud qui circule sur la place... Donc il y a une logistique qui a été mise en place, qui fonctionne très bien et leur permet de tenir.
Ce matin, il y a donc eu cette intervention. On n’a pas signalé de personnes blessées. Cela veut dire que, d’une certaine manière, la répression s’est adoucie par rapport à ce qu’on avait connu il y a une dizaine de jours ?
Tout à fait. Il y a une dizaine de jours, il y avait eu vraiment une répression dure et j’ai pu discuter avec des manifestants qui avaient été tabassés. Certains m’ont montré leurs blessures. Là maintenant, les forces de police, les forces mobilisées, font très attention à ne pas donner de nouvelles images. Ces vidéos avaient été dramatiques au niveau de l’image. Là, il y a peut-être un adoucissement. C’est peut-être aussi pour cela que les forces de police ont quitté la place et renoncé en fin de compte à un affrontement violent.