L’Ukraine, entre tensions et négociations

A Kiev, les manifestants pro-européens maintiennent la pression sur le chef de l'Etat. Après les manifestations de dimanche, qui ont rassemblé plusieurs centaines de milliers d'opposants, ceux-ci demandent toujours son départ continuent ce mardi soir de camper sur la place de l'Indépendance, dans le centre-ville de la capitale. Toutefois, la pression des forces de l’ordre continue aussi. Les policiers ont repoussé les protestataires du quartier gouvernemental. Une situation bloquée qui a conduit la chef de la diplomatie européenne, à se rendre sur place. Catherine Ashton s'est entretenue ce mardi avec le président ukrainien, pendant plus de trois heures.

Les manifestants reprochent au président Ianoukovitch d'avoir renoncé fin novembre à la signature d'un accord d'association avec l'Union européenne au profit d'un rapprochement avec la Russie. Cette décision a déclenché un long conflit politique, qui dépasse largement le cadre des seules relations de l’Ukraine avec l’Europe. Il touche à la nature même de l’Etat ukrainien, et notamment à l’exercice de la démocratie, au fonctionnement de la justice, à la lutte contre la corruption...

A première vue, l’émergence du conflit a permis à l’opposition de retrouver sa vigueur, après plusieurs années d’impuissance causée par l’incapacité des anciens leaders de la Révolution orange à s’entendre. A première vue toujours, le conflit a sérieusement ébranlé la position de Viktor Ianoukovitch et lui a laissé une marge de manœuvre très étroite. Il y a du vrai dans les deux observations. Mais quand on regarde de plus près la situation, elle apparaît un peu plus complexe.

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Pour l’instant, aucune des deux parties n’a obtenu d'avantage décisif dans ce bras de fer. En gros, c’est du grand classique, deux issues sont possibles : une solution musclée ou une solution politique. Et comme les deux parties du conflit - les autorités et l’opposition - jouent tout le temps sur les deux registres, il est difficile de dire lequel va être choisi pour la solution définitive.

Côté démonstration de force, l’opposition organise des manifestations de masse, occupe la mairie de Kiev, dresse des barricades dans les rues de la capitale, menace de marcher sur les sièges du gouvernement et du président, et définit le mouvement comme une « révolution », et non comme une simple « protestation »…

Le pouvoir, lui, envoie les forces spéciales contre la foule, les déloge comme la nuit passée dans le quartier gouvernemental, détruit les barricades et les tentes dressées par les opposants, semble préparer une attaque visant à vider l’immeuble de la mairie de ses protestataires, multiplie des avertissements et des menaces…

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Heureusement, il y a également des évolutions sur le plan politique. La dernière en date, c’est une réaction favorable du président Ianoukovitch à la proposition de ses trois prédécesseurs à la tête de l’Etat - les anciens présidents Kravtchouk, Koutchma et Iouchtchenko - de réunir les représentants des autorités et de l’opposition autour d’une table ronde afin de trouver une sortie de crise.

Viktor Ianoukovitch a reçu les trois ex-présidents ce mardi, pour discuter de l’avenir du pays. Le chef du parti libéral Udar, Vitali Klitschko, a déjà déclaré que les leaders de l’opposition étaient prêts à négocier avec Ianoukovitch. L’initiative de la table ronde semble donc bien partie. 

Vitali Klitschko est d’ailleurs attendu mercredi à Paris, où il doit rencontrer le chef de la diplomatie française Laurent Fabius. Celui-ci estime qu'il faut éviter les affrontements. Il a également observé que les élections étaient attendues dans un délai « pas très lointain », en 2015. Un appel clair à la modération, alors que Klitschko, lui, a appelé dimanche à une grève générale visant à « faire tomber le pouvoir ».

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Pour l’instant, les manifestants ont réussi à faire tomber la statue de Lénine. Sacrilège et barbarie pour les communistes locaux ! L’événement symbolise pour beaucoup d’Ukrainiens une « désoviétisation » définitive de leur pays. Ce qui n’est pas sans s’inscrire dans la logique de l’épreuve de force en cours. En effet, de l’avis général, ce sont les pressions russes qui ont amené l’équipe au pouvoir à suspendre la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne, ce qui a provoqué les protestations de masse. Or, à l’époque soviétique, Lénine était considéré par les Ukrainiens comme l’un des symboles de l’oppression russe. 

Toutes proportions gardées, aujourd’hui, c’est Viktor Ianoukovitch qui symbolise pour une partie des Ukrainiens la domination russe. Le parallèle entre les deux personnages est peut-être un peu simpliste, mais il ne faut pas s’étonner que, dans l’ambiance de soulèvement populaire, une petite étincelle ait suffi pour déclencher la colère de la foule contre la statue. C’était d’autant plus facile que beaucoup s’étonnaient déjà de longue date que, plus de vingt ans après le recouvrement de l’indépendance ukrainienne, la statue de Lénine soit encore là.

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Les appels et les gestes forts, voire belliqueux, des deux camps font partie du jeu et servent sans doute à s’assurer une meilleure position dans les négociations. Mais objectivement - et fort heureusement ! -, ni l’opposition, ni le pouvoir, n’ont intérêt à favoriser une solution de force. Certes, une radicalisation ou des débordements sont toujours possibles des deux côtés, mais l’électorat de M. Ianoukovitch est déjà en train de s’effriter, et une telle solution pourrait signifier une catastrophe pour le clan présidentiel, justement dans la perspective relativement proche des élections de 2015.

Ensuite, pour l’opposition, un affrontement musclé signifierait un grave risque d’affaiblissement durable, voire de destruction de ses structures, accompagnée d’emprisonnements de ses principaux leaders. Ce qui les empêcherait de se présenter en 2015, alors que leurs chances d’obtenir un bon score ne semblent pas du tout minces. Enfin, l’Europe a déjà suffisamment de problèmes avec elle-même, avec la Russie et avec les négociations sur l’accord d’association avec l’Ukraine, pour ne pas tout faire afin de prévenir une déstabilisation supplémentaire de la région.

C’est sans aucun doute la démarche principale de Catherine Ashton, responsable de la diplomatie européenne, qui est à Kiev pour deux jours dans le cadre d’une mission de « conciliation ». Ce que Vitali Klitschko peut donc légitimement attendre de la France et de l’Europe, c’est plutôt une aide pour trouver une solution pacifique et un appui en vue de la future campagne électorale. L’opposition a donc doublement intérêt à ce que cette campagne se fasse dans de bonnes conditions.

Ianoukovitch défend la sécurité nationale face à la rue

Le président ukrainien a fait ce mardi un geste en faveur des protestataires de la place de l'Indépendance, à Kiev. Une partie des manifestants arrêtés le 1er décembre, en marge des échauffourées avec la police dans le quartier présidentiel va être libérée : c'est la promesse faite par Victor Ianoukovitch. Le chef de l'Etat ukrainien s'est entretenu de la crise que traverse son pays avec trois de ses prédécesseurs. Il a aussi dénoncé les appels à la révolution lancés par l'opposition pro-européenne.

 

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