Grèce: l'audiovisuel public toujours dans la tourmente

En Grèce, la question de l'audiovisuel public n'est toujours pas réglée. En juin dernier, le gouvernement Samaras avait décidé unilatéralement la fermeture brutale de l’ERT, l'ensemble des médias du service public. Les salariés avaient aussitôt rétorqué par une occupation de leurs locaux et ont continué d'émettre via Internet. En parallèle, depuis cet été, une nouvelle télévision publique fonctionne, mise en place par le gouvernement.

Avec notre correspondante à Athènes, Amélie Poinssot

L’audiovisuel public grec est confronté à une situation schizophrène. En voulant éteindre brutalement les écrans de la télévision publique, le gouvernement s'est mis à dos une partie de la société et a été critiqué au plus haut niveau européen. Mais ce n’est pas tout : il se retrouve aujourd'hui coincé, car il n'a plus accès aux locaux qui sont toujours occupés par d'anciens employés de l’ERT.

A (RE)LIRE : Grèce: le gouvernement suspend les émissions de la radiotélévision publique

Ces derniers continuent de retransmettre, via leur site Internet, ERT open, ce qui était la chaîne nationale d'information en continu, mais aussi la chaîne de Thessalonique ainsi que trois stations de radio. Le site Internet revendique plus de 20 millions de visiteurs en quatre mois. Ces journalistes et techniciens n'ont pas cessé de travailler, d'animer des plateaux télévisés, de faire leurs journaux d'information quotidiens, d'alimenter le site Internet et les réseaux sociaux.

Les débuts laborieux de DT

Ceci dit, leurs rangs sont de plus en plus clairsemés, car le gouvernement a joué les divisions et en créant la nouvelle chaîne « DT » (« pour Télévision publique » en grec). Il a recruté près de 500 personnes. Le canal a commencé à émettre, après quelques couacs, courant juillet. Ce qui était une coquille vide au départ, un canal de rediffusion de vieux films et de documentaires, est devenu depuis septembre une véritable chaîne de télévision avec, en fin de journée, des informations présentées par des anciennes journalistes vedettes de l’ERT.

Mais DT est encore loin d’être une chaîne d’informations. Elle ne fonctionne pour l’heure qu’avec une équipe réduite, les journalistes ont signé des contrats de seulement deux mois de travail et surtout, elle n'a pas du tout les moyens techniques que l’ERT possédait pour couvrir les gros événements ou faire du reportage. Leurs locaux sont minuscules, ils ne proposent que des émissions de plateau et des rediffusions de documentaires.

Une situation justifiée par l'absence de budget. Auparavant, l'ERT était financée par la redevance audiovisuelle, prélevée en Grèce via les factures d'électricité. Or cette redevance a été supprimée avec la fermeture de facto du groupe et rien n'est venu la remplacer : les statuts du nouveau groupe sont encore à faire. Un amendement doit d'ailleurs être voté ce mardi 22 octobre par l'Assemblée, pour rallonger les contrats de travail des premiers salariés à dix mois et clarifier les pouvoirs du directeur qui a été nommé.

L'impasse

Construite avec des bouts de ficelle, DT n’a pas encore non plus trouvé son audience. Sur les événements qui ont marqué l'actualité grecque ces derniers temps, c'est sur les chaînes concurrentes que l'on trouvait l'essentiel des informations. On est donc encore loin de la nouvelle télévision publique que le gouvernement avait promise pour cet automne.

Et la situation n’est pas près de se débloquer. Tant que la nouvelle chaîne n'aura pas accès aux anciens locaux, elle n'aura pas accès à ses studios les plus performants. Le ministre délégué à la Réforme de l'audiovisuel a affirmé cette semaine que dans cette situation, le pays ne serait même pas en mesure de couvrir la présidence grecque de l'Union européenne, qui commence dans deux mois.

Certes, le gouvernement pourrait intervenir par la force pour déloger les anciens employés récalcitrants, mais étant donné la vague de réaction à l'échelle internationale qu'avait déjà suscitée la fermeture de l’ERT, il marche sur des œufs dans cette affaire. Et il y a encore de nombreuses irrégularités à régler, notamment les impayés envers les nombreux producteurs externes qui travaillaient pour l'ERT ainsi que les indemnités de licenciement : excepté deux petits versements cet été, les anciens salariés n'ont pas touché l'ensemble des indemnités qui leur sont dues. Ils dénoncent avec ce retard un chantage pour les pousser à quitter le bâtiment, et dans leurs derniers communiqués, ils affirment qu'ils ne cèderont pas devant la pression du gouvernement.

Partager :