L’opposition dénonce surtout des falsifications possibles dans le cadre du système de vote à domicile. Comme il s’agit pour la plupart des cas de personnes âgées, malades ou handicapées, votant en l'absence de mesures de contrôle prévues pour les bureaux de vote, l’opposition estime qu’il était facile pour le pouvoir de les influencer. Or, selon les chiffres officiels, 104 000 Moscovites ont voté à domicile.
L’opposition a également de sérieux doutes sur le vote dans les casernes et dans certains bureaux de vote. Vu que le score du candidat du Kremlin ne dépasse les 50 % que d’un seul point, une accumulation de telles fraudes pourrait être à la base de sa victoire au premier tour. C’est pourquoi Alexeï Navalny a appelé à manifester, et surtout à l’organisation d’un second tour. Ceci dit, même s’il ne l’obtient pas, son résultat officiel est déjà un bel exploit. Aucun candidat de l’opposition avant lui n’a obtenu un score du rang d’un tiers des voix exprimées à Moscou.
Le début de vrais changements
On serait bien sûr tenté d’annoncer un début de changements sur la scène politique russe, mais il ne faut pas oublier que Vladimir Poutine a réussi à verrouiller et aseptiser la vie politique en Russie, à tel point que tout frémissement témoignant d’un soutien de la population à l’opposition suscite tout de suite des espoirs parfois disproportionnés.
Mais, cette fois, il ne s’agit apparemment pas d’un simple frémissement. Si, malgré toutes les intimidations et manipulations de l’appareil du pouvoir poutinien, environ un tiers de l’électorat russe dans plusieurs grandes villes, dont la capitale, ose se prononcer pour l’opposition. Cela veut dire que les tentatives de Poutine d’éliminer l’opposition de la scène politique s’avèrent inefficaces. Ce qui devrait normalement appeler des changements dans la politique du Kremlin.
Il s’agit cependant d’un raisonnement froid et rationnel, alors que la vie politique russe ne se plie pas toujours aux règles pleinement rationnelles. Des facteurs comme la symbolique de l’Etat fort, comme la position centrale du chef de l’Etat, et comme les traditions de l’autoritarisme, voire du culte de la personnalité, jouent un grand rôle dans la stratégie des gouvernants.
Quel avenir politique pour Navalny ?
Moscou mène une politique de répression et d’intimidation par rapport à l’opposition. Alexeï Navalny a, certes, obtenu un bon score à Moscou, mais il reste sous le coup d’une condamnation à cinq ans de prison. Malgré son succès électoral, son avenir politique semble donc pour le moins incertain.
La situation de Navalny paraît assez peu confortable, mais celle du clan Poutine l’est pour le moment encore moins. L’intention initiale du procès pour malversations contre Navalny était de toute évidence de bloquer sa participation aux municipales. Mais la ficelle était tellement grosse que la manœuvre a suscité de vrais remous dans l’opinion publique russe et une indignation à l’étranger. Le Kremlin a fait un pas en arrière et a décidé de laisser Navalny concourir, jugeant que celui-ci n’était de toute façon pas assez fort pour menacer réellement le candidat officiel.
En principe, l’équipe de Poutine n’a pas eu tort. Si rien ne change, Sergueï Sobianine sera reconnu gagnant au premier tour. Cependant, le score de Navalny est si élevé qu’il serait très risqué pour le pouvoir de se mettre à dos les Moscovites, qui ont déjà prouvé par le passé qu’ils étaient capables de descendre massivement dans la rue quand le Kremlin dépassait certaines limites. Or, mettre Navalny en prison pour cinq ans en se fondant sur des accusations manifestement fantaisistes, alors qu’un tiers de Moscovites vient de lui exprimer leur soutien serait certainement ressenti comme une grossière provocation, aux conséquences imprévisibles. C’est donc avec autant plus d’intérêt que tous les observateurs politiques attendent le jugement d’Alexeï Navalny en appel.