L'enjeu de cette grand-messe pour Mariano Rajoy est de regagner la confiance des Espagnols, en chute libre depuis une affaire de corruption qui l’implique directement. Des publications dans le quotidien El País accusent le chef du gouvernement d'avoir touché des salaires occultes, ce qu’il nie en bloc. Le chef du gouvernement conservateur devra donc défendre sa politique d'austérité, mais sa propre crédibilité et celle de son parti sont également en jeu.
Discrédit des politiques et crise
Aux yeux des Espagnols, l’affaire des caisses noires ne fait que rajouter au discrédit des hommes politiques. Une pétition demandant la démission immédiate de Mariano Rajoy a déjà été signée par 1,2 millions d’Espagnols. Cette crise risque de rendre encore plus difficile la mission que le Parti populaire s’est donnée en arrivant au pouvoir : assainir les finances publiques et redonner de la confiance aux marchés financiers. Daniela Ordonez, analyste au cabinet parisien COE Rexecode, met en garde contre toute instabilité politique qui pourrait faire fuir les investisseurs : « Bien sûr, ces aléas ne sont pas les bienvenus sur les marchés financiers. On observe une volatilité des taux d’intérêt depuis le début du mois de février. Le gouvernement a donc tout intérêt à calmer le débat autour de la corruption et à redonner confiance aux marchés ».
Les socialistes également à la peine
Dans ce climat hostile au gouvernement, l'opposition ne fera certainement pas de cadeau au gouvernement lors du débat sur l’état de la nation. Le débat, ce mercredi et jeudi, risque donc d'être houleux. Mais la gauche pourra-t-elle pour autant profiter de l’instabilité à la tête de l'Etat ? Jean Chalvident, auteur du livre « L’Espagne : de Franco à Zapatero », ne le pense pas : « Le paradoxe est que cela ne profite pas au parti socialiste PSOE qui est toujours six ou sept points derrière le Parti populaire dans les sondages. Il faut dire que le parti socialiste est toujours très divisé et son leader très controversé ». Les socialistes, aux yeux des Espagnols, ne représentent pas non plus une alternative pour les électeurs, étant eux-mêmes discrédités par toute une série de scandales de pots-de-vin et de malversations.
Dans ce contexte de méfiance vis-à-vis de la classe politique, il paraît difficile de demander davantage de sacrifices aux Espagnols, déjà très éprouvés par une douloureuse politique d’austérité. La marge de manœuvre semble très étroite, d’autant que tous les budgets de l'Etat ont déjà été réduits pour économiser 150 milliards d'euro d'ici fin 2014.
Une famille sur quatre vit dans la pauvreté
A l’occasion du débat parlementaire, Amnesty International a tiré la sonnette d'alarme, dans une lettre ouverte publiée avec deux autres organisations non gouvernementales, Oxfam et Greenpeace. Les trois organisations demandent au gouvernement de placer la lutte contre la pauvreté parmi ses priorités. « Avec les politiques actuelles menées par le gouvernement, nous sommes en passe de devenir un pays plus pauvre, plus injuste et plus instable, écrivent-elles dans cette lettre déposée à l’Assemblée. Les mesures adoptées par le gouvernement ont eu pour effet que presque deux millions de familles espagnoles n'ont plus aucun revenu et qu’une famille sur quatre vit dans la pauvreté ou dans des conditions d’exclusion sociale ». Amnesty, Oxfam et Greenpeace réclament « un changement dans la politique budgétaire et économique ».
Avec un peu plus de 26 %, le taux de chômage est aujourd’hui l’un des plus importants de l’Union européenne, mais si l’on en croit l’économiste Daniela Ordonez, l’Espagne a tout intérêt à continuer sur le chemin des réformes et de la réduction du déficit public, un déficit qui s’élève toujours à 8 % du PIB. « L’économie espagnole est encore très dégradée, note Daniela Ordonez, mais il y a quand même beaucoup d’avancées qui ont été accomplies, et pas seulement du côté de la consolidation des finances publiques. L’exportation, elle aussi, se porte bien, et la compétitivité augmente. Cela pourrait être un bon soutien à la croissance à moyen terme ».
Face aux députés, Mariano Rajoy vantera certainement ces petits signes annonçant le début d'une reprise, tout en demandant aux Espagnols de faire preuve de patience.