La crise syrienne est la seule question importante sur laquelle les positions des deux pays sont éloignées. « La Russie, comme la Chine, sont bloquées sur une position assez intransigeante, qui diffère très sensiblement des pays occidentaux », constate l’universitaire Jean Radvanyi, professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et ancien directeur du Centre de recherches en sciences humaines et sociales à Moscou.
Dans l’entretien qu’il a accordé au Figaro et à l’AFP à la veille de sa venue à Paris, le Premier ministre russe a vivement critiqué le soutien apporté par la France à la Coalition de l’opposition syrienne, un soutien « tout à fait inacceptable au regard du droit international ». Quant à la demande de levée de l’embargo sur les livraisons d’armes à l’opposition, Dmitri Medvedev la juge « très discutable ».
Pour autant, le dossier ne devrait pas polluer la relation bilatérale, selon Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue La Russie dans la politique globale. « Aujourd'hui, il existe une différence de points de vue sur la Syrie, et cette divergence est particulièrement aigüe avec la France, dans la mesure où elle soutient activement les opposants à Assad, explique le politologue. Mais dans le même temps, la partie française est très intéressée par le développement des liens économiques. La Russie, elle aussi est toujours intéressée par les gros projets avec les entreprises occidentales. C'est pourquoi, je pense que le pragmatisme l'emportera à Paris, sur les questions plus politiques », conclut Fiodor Loukianov.
Pragmatisme
Les séminaires intergouvernementaux franco-russes, qui se déroulent une fois par an alternativement à Paris et Moscou, sont l’occasion pour les chefs de gouvernements de faire un tour d’horizon complet des dossiers économiques et culturels. Les deux dirigeants doivent évoquer la construction d’un centre spirituel et culturel orthodoxe, dans le 7e arrondissement de Paris.
Après les réserves émises par le maire de la capitale, Bertrand Delanoë, estimant que le projet architectural « n’était pas en harmonie avec le site », la Russie a retiré la demande de permis de construire qu’elle avait déposée et présentera un nouveau projet dans les mois qui viennent.
Mais les dossiers commerciaux devraient constituer le plat de résistance de ce séminaire intergouvernemental. Les deux pays entendent développer la coopération économique. Le volume des échanges entre la France et la Russie est passé de 10 milliards de dollars en 2005 à 30 milliards de dollars en 2011, mais il reste encore une marge importante de progression. La France est le 8e fournisseur mondial de la Russie et le 3e fournisseur européen, derrière l’Allemagne et l’Italie.
Le savoir-faire français a encore de quoi trouver de nombreux débouchés en Russie, selon le chercheur de l’IRIS, Philippe Migault : « La Russie est engagée dans un énorme programme de modernisation de ses forces armées, mais il lui manque un certain nombre de compétences technologiques pour mener à bien cette modernisation et au-delà des contrats Mistral qui ont été signés, d’autres contrats pourraient survenir dans les mois et les années à venir.
Il y a d’autres segments bien entendu que l’on peut imaginer : le spatial, l’aéronautique, le transport avec le TGV, le nucléaire civil, l’agriculture. Il y a aussi un savoir-faire français en matière de prospection pétrolière, en matière de respect de l’environnement, autant de secteurs dans lesquels la Russie n’est pas à la pointe », explique Philippe Migault.
Investissements russes en France à la traîne
De son côté, la Russie exporte essentiellement du gaz et du pétrole vers la France. Les investissements russes en France restent en revanche à un niveau relativement bas, comme l’a souligné Dmitri Medvedev dans l’entretien qu’il a accordé à l’AFP et au Figaro. « Il me semble que les investisseurs russes sont confrontés à une part de méfiance ou de difficultés administratives », estime le Premier ministre russe.
Une méfiance qui pourrait trouver ses racines dans deux expériences malheureuses, selon Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe à Moscou : « Il y a tout d’abord l’épisode Arcelor et le non rachat par le russe Severstal d’Arcelor. In fine, c’est Mittal qui l’avait emporté, et quand on voit aujourd’hui la façon dont le dossier Arcelor Mittal évolue, on peut sans doute regretter à posteriori que les Russes n’aient pas été préférés aux investisseurs indiens. Cet état de fait renvoie directement à la mauvaise image qu’avait à l’époque la Russie, et qu’elle a sans doute encore en France », analyse Arnaud Dubien.
« Le deuxième dossier, poursuit le chercheur, c’est l’entrée un peu par effraction de la Russie dans le capital d’EADS en 2006. Ce projet n’avait pas été expliqué aux autorités européennes et françaises, et il a renforcé une méfiance déjà existante sur les intentions russes. Cette méfiance existe encore, mais je pense que les milieux d’affaires français sont en train d’évoluer et que le rachat annoncé de Gefco, la filiale logistique de PSA par les Chemins de fer russes devrait créer un précédent positif pour les investissements russes en France ».