Selon le Premier ministre ukrainien Mykola Azyrov, « les élections démocratiques ont eu lieu ». Pourtant, dès dimanche, les partis d’opposition et des observateurs ukrainiens ont fait état de fraudes, observées notamment lors du décompte des voix. Mais c’est l’opinion des observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui était particulièrement attendue. Et celle-ci n’est pas flatteuse pour les autorités.
Un communiqué d’une représentante de l’OSCE, Walburga Habsburg Douglas, dénonce « les abus de pouvoir et le rôle excessif de l’argent dans cette élection ». Il s’agit en particulier « de recours abusif aux ressources administratives, de manque de transparence durant la campagne et dans le financement des partis, ainsi que d'un déséquilibre dans la couverture médiatique ». Selon les observateurs internationaux, le scrutin de dimanche a constitué « un pas en arrière » et « un recul de la démocratie en Ukraine » par rapport aux élections précédentes. Cependant, ni les observateurs ukrainiens, ni ceux de l’OSCE ne remettent pour l’instant en cause les résultats du vote; or ceux-ci sont difficiles à analyser, du moins dans l’immédiat.
Configuration définitive incertaine
Au lendemain du vote, le mode du scrutin appliqué dans le pays rend quasiment impossible toute prévision quant à la configuration politique définitive du Parlement. En effet, sur 450 députés, les candidats élus sur liste (à la proportionnelle) représentent la moitié des sièges à pourvoir. Les 225 sièges restants seront pourvus au scrutin majoritaire uninominal par circonscription, où sera proclamé vainqueur le candidat arrivé en tête avec au moins 30 % des suffrages exprimés, ce qui devrait favoriser le Parti des régions au pouvoir.
Certes, le parti du président Viktor Ianoukovitch arrive manifestement en tête, suivi par l'alliance d'opposition proche de l'ex-Première ministre emprisonnée Ioulia Timochenko, dans un scrutin où le boxeur Vitali Klitschko et les nationalistes ont créé la surprise. Toutefois, ce ne sont pas les résultats des partis particuliers qui seront décisifs, mais les capacités de ceux-ci à créer une coalition majoritaire au Parlement.
A en juger par leurs déclarations de campagne, l’alliance Batkivchtchina (Mère-patrie) proche d’Ioulia Timochenko, le parti teinté de populisme Udar (Le Coup) de Vitali Klitschko et les nationalistes du parti Svoboda (Liberté) seraient prêts à gouverner ensemble. Ils auraient de vraies chances de le faire si le scrutin était entièrement proportionnel. En effet, ils vont probablement obtenir un score au moins égal, sinon plus élevé que le parti présidentiel, parmi les parlementaires élus sur liste. En revanche, parmi ceux élus au scrutin majoritaire uninominal, c’est une victoire écrasante du Parti des régions qui s’annonce.
Il est vrai que les estimations les plus optimistes attribuent au PR 205 sièges au Parlement, alors que 226 sont nécessaires pour avoir une majorité absolue. Ainsi, il ne pourra pas gouverner tout seul. Ceci dit, il peut compter sur les communistes et recruter parmi d’autres députés élus au scrutin majoritaire. Arithmétiquement, il est donc plus probable que ce sera plutôt le parti de Viktor Ianoukovitch que l’opposition qui réussira à former une coalition gouvernementale.
Nouvelles forces
Pourtant, politiquement, la victoire de celui-ci est loin d’être totale. En effet, les résultats des législatives annoncent l’émergence de nouvelles, et assez inattendues, forces politiques du côté de l’opposition. Il n’y aura plus de simple confrontation traditionnelle entre les héritiers de la « révolution orange », qualifiés de pro-occidentaux, et les « bleus » du Parti des régions, qualifiés de pro-russes. De nouveaux acteurs apparaissent désormais sur la scène politique nationale.
Alors que la tentative d’y entrer de l’ancienne star du football Andreï Shevchenko a fait un lamentable flop, celle de son collègue boxeur Vitali Klitschko a donné des résultats étonnamment brillants. Avec un score au niveau de 12 % des voix, son parti Udar a toutes les chances de devenir la quatrième, voire peut-être la troisième force politique du pays. Klitschko bénéficie en Ukraine d’une image flatteuse : celle de l’un des rares hommes politiques à avoir fait fortune honnêtement, simplement grâce à ses muscles, mais aussi à ses qualités intellectuelles. Il parle plusieurs langues et a écrit une thèse sur « la méthodologie pour évaluer la performance des boxeurs ».
Si l’on songe au classement du cabinet Ernst & Young qui place l’Ukraine parmi les trois pays les plus corrompus du monde, Klitschko peut effectivement apparaître aux électeurs comme un phénomène politique agréablement surprenant. Et, il en profite pour tirer parti de la déception de nombreux Ukrainiens à l’égard des hommes politiques traditionnels. Il joue également sur le désir de la plupart de ses compatriotes d’avoir un niveau de vie comparable à celui de leurs voisins européens. Au moins sur ce plan, il rejoint le courant pro-européen en Ukraine.
Ennemi commun
L’auteur d’une autre sensation du scrutin de dimanche, le parti Svoboda, dont le résultat se situe entre 8 et 12 % des voix, se proclame également pro-européen, mais il n’est pas sûr que les institutions européennes soient particulièrement fières de le voir à leurs côtés. Qu’il s’agisse d’une formation résolument nationaliste et anti-russe, cela pourrait encore passer, mais elle ne cache pas son penchant pour l’homophobie et pour l’antisémitisme, ce qui passe beaucoup plus difficilement auprès de l’Occident. Toutefois, selon des spécialistes, nombreux sont les électeurs – y compris les électeurs juifs ! – qui votent pour Svoboda pour une simple et bonne raison qu’ils considèrent le parti comme la force motrice de la résistance au régime du président Ianoukovitch.
Et c’est bien cet ennemi commun qui risque de fédérer Udar, Svoboda et l’alliance Batkivchtchina, comprenant le parti d’Ioulia Timochenko au sein d’une coalition parlementaire, malgré toutes leurs différences, parfois fondamentales. Sur le plan politique, cela pourrait singulièrement compliquer la vie au gouvernement du Parti des régions. Et surtout, cela pourrait rendre le rêve de réélection, cher à Viktor Ianoukovitch, plus difficile à réaliser. D’autant plus difficile que sa principale adversaire, Ioulia Timochenko, n’a aucune intention de capituler malgré son incarcération. Elle vient d’entrer en grève de la faim « en signe de protestation contre la falsification des élections ». Et ce n’est certainement pas son dernier mot.