De notre correspondant à Kiev
Dans le petit bureau de l'organisation Opora, dans un quartier résidentiel de Kiev, on achève de scotcher des paquets qui partiront bientôt dans toute l'Ukraine. « Ces compteurs permettront à nos 3 500 observateurs de recenser les électeurs qui se présenteront dans les bureaux de vote, explique Olha Aivazovska, une des membres de l'ONG. Nous allons surveiller le scrutin de très près, comme nous le faisons depuis le début de la campagne électorale ».
Un test démocratique
Dimanche 28 octobre, les citoyens ukrainiens se rendent aux urnes pour les premières législatives depuis le retour au pouvoir du président Viktor Ianoukovitch en 2010, une élection considérée par l'Union européenne comme un test pour la démocratie ukrainienne, tant les relations entre Bruxelles et Kiev se sont refroidies depuis l'emprisonnement de l'ancien Premier ministre Ioulia Timochenko en août 2011. « Certains candidats n'hésitent pas à verser de l'argent ou à offrir des cadeaux pour s'assurer la fidélité des électeurs, continue Olha Aivazovska, et la majorité de ces infractions sont commises par des candidats du Parti des régions du président ».
Après l'échec de la Révolution orange de 2004, minée par des dissensions internes, la reprise en main du pouvoir par Viktor Ianoukovitch a été extrêmement rapide. L'administration et la justice ont été mises au pas, la police, les services secrets et l'armée sont sous contrôle. Ainsi, d'après un sondage réalisé par l'Institut international de sociologie de Kiev le 12 octobre dernier, seuls 8,8% des Ukrainiens pensent que les élections législatives seront libres et démocratiques... Des accusations que le vice-Premier ministre, Sergeï Tigipko balaie d'un revers de la main : « L'opposition a toute la latitude de faire campagne, souligne-t-il, ils ne se plaignent que pour préparer leur faillite prochaine ».
En tête dans les sondages, le Parti des régions devrait encore une fois emporter le scrutin, favorisé par le manque d'idées de l'opposition unie menée depuis sa cellule par Ioulia Timochenko et sur le terrain par l'ancien ministre des Affaires étrangères, Arseniy Yatsenyuk. « Plus de 200 partis sont en lice, et les politiciens ne proposent aucun mouvement, aucune perspective, martèle Oleg Ribatchuk, ancien chef du secrétariat présidentiel et animateur du réseau citoyen Chesno, mais ils dépensent des dizaines de millions d'euros pour la campagne électorale ».
Corruption et népotisme
Dans le centre de Kiev, les portraits des principaux leaders politiques s'affichent à tous les coins de rue, des tentes colorées sont installées pour attirer les badauds. Pourtant, bien peu sont ceux qui s'arrêtent. « 50% des Ukrainiens font confiance à l'Eglise, 25% à l'armée et 25% aux médias ; ils ne croient ni le président, ni le Parlement, ni la justice, souligne Petro Burkovski, politologue à l'Institut national des études stratégiques, car la classe dominante travaille avant tout à son propre enrichissement ».
Miné par la corruption et le népotisme, l’État ukrainien est sous la coupe des oligarques qui contrôlent l'économie et qui dictent les orientations du gouvernement à l'international. Pressé par Moscou de rejoindre l'Union douanière avec le Kazakhstan et la Biélorussie contre une réduction du prix du gaz russe livré à l'Ukraine, le président Ianoukovitch doit
aussi ménager l'Union européenne, censée dans les prochains mois ratifier avec Kiev un accord d'association (ASA). « Les oligarques ukrainiens ont investi massivement à l'ouest et ils ont peur des Russes, ils se méfient donc de l'intégration douanière avec Moscou, continue Petro Burkovski, ils ont aussi besoin de stabilité et d'une clarification des règles du jeu économique. La nécessité de balancer ces intérêts divergents pourrait favoriser une certaine ouverture ces prochaines années ».
Une présidentielle en 2015
Les différents partis politiques le savent bien, la véritable lutte pour l'avenir politique de l'Ukraine s'engagera lors de l'élection présidentielle de 2015 et l'appétit grandissant du président et de son fils Alexandre, devenu en un an un des cinq hommes les plus fortunés du pays, pourrait heurter les ambitions des principaux bailleurs de fonds du Parti des régions. « Viktor Ianoukovtich tente de créer une monarchie en Ukraine, note la journaliste Viktoria Siumar, mais personne ne veut d'un nouveau tsar ».
Pour la société civile ukrainienne et les jeunes activistes formés sur la place Maïdan en 2004, il faudra profiter de cette redéfinition des équilibres du pouvoir pour imposer le respect des droits de l'homme, la transparence de la justice et l'assainissement du climat des affaires. « Il reste quelque chose de l'esprit de 2004, veut croire Konstantin Sigov, professeur de philosophie politique à l'université Moghila de Kiev, nous avons compris que le système ne changerait pas d'un coup, mais nous avons le devoir de continuer le combat car la démocratisation de l'espace postsoviétique passe par l'Ukraine ».