Géorgie : la campagne tourne au vinaigre

A trois jours des élections législatives en Géorgie, prévues le 1er octobre, la situation est très tendue dans le pays. Le parti présidentiel de Mikheïl Saakachvili et le Rêve géorgien, une coalition emmenée par Bidzina Ivanichvili, s'opposent à coups de révélations de scandales.

De notre correspondant à Tbilissi,

Comme la Géorgie est loin de la « success story » démocratique que vantait ces dernières années le président Saakachvili devant des auditoires internationaux ébahis. Les derniers jours de la campagne pour l’élection parlementaire du 1er octobre tournent au lavage du linge sale en famille. Il y a bien longtemps que plus personne n’invoque son programme.

Le Mouvement national uni (parti présidentiel) et le Rêve géorgien, coalition emmenée par l’oligarque Bidzina Ivanichvili, sont tout à leur guerre des « kompromati », des informations compromettantes. Enregistrements en caméra cachée, écoutes téléphoniques, tout y passe, sans toujours convaincre les 3,6 millions d’électeurs géorgiens plus perdus que jamais.

Torture de détenus

Dans cette guerre des « kompromati », tout a commencé le 18 septembre avec la diffusion de vidéos montrant des gardiens de la prison n°8, à Tbilissi, torturant des détenus. Tout le monde le savait mais jamais de telles preuves n’avaient été révélées. Le choc fut immense. Le gouvernement a réagi avec vigueur : démission de deux ministres, arrestation d’une vingtaine de gardiens et responsables de prisons... « Le pouvoir parle d’erreur, c’est bien autre chose. Personne ne l’a cru. La mentalité des dirigeants géorgiens demeure bolchevique au fond. Ils parlent d’ennemis de la révolution [« des roses », en 2003] et c’est ainsi qu’ils ont fermé les yeux sur, et qui sait peut-être encouragé, des pratiques systématiques de la torture », estime un diplomate occidental, installé de longue date à Tbilissi.

« Ce n’est pas par hasard si ces vidéos sont sorties à dix jours d’un scrutin crucial », nous fait remarquer Eka Zgouladzé, la ministre de l’Intérieur géorgienne. Peu de doutes que ces images soient sorties grâce à l’argent de Bidniza Ivanichvili, lequel ne s’était jamais ému du sort des détenus géorgiens jusqu’à ce jour. Pourtant, dès 2004, les premiers cas avaient été rendus publics. Du coup, le pouvoir a répliqué en tentant de prouver que des dirigeants d’opposition essaient de ramener les patrons du crime géorgien au pays en échange de leur coup de main pour renverser Saakachvili.

Début septembre, le Premier ministre géorgien, Vano Merabichvili, s’est rendu à Paris pour rencontrer Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur français, « uniquement pour lui demander de remettre à Tbilissi des pièces d’un procès verbal d’enquête de la gendarmerie française évoquant les liens entre opposition et crime organisé géorgien », raconte une source proche du dossier.

L’après-midi même de leur remise aux autorités géorgiennes, cette semaine, elles étaient rendues publiques sur les chaînes de télévision inféodées au pouvoir géorgien. Ce qui a suscité l’ire du Quai d’Orsay. « Paris nous parle de secret de l’instruction, mais pour nous il s’agit d’intérêts supérieurs de l’Etat », justifie un proche du président Saakachvili. Les retombées furent faibles, le PV de synthèse des gendarmes français ne faisant que tendre à confirmer les thèses du pouvoir géorgien.

Un WikiLeaks à la géorgienne

Après ce nouvel épisode, c’est un flot quasi ininterrompu de nouveaux « kompromati » qui défile sur les télévisions géorgiennes. Certains ont l’air d’être des fabrications bricolées à la va-vite. D’autres sont convaincantes, comme celle où l’on voit un candidat connu du Rêve géorgien donner de l’argent à un homme qui promet de lui ramener 200 voix. D’autres ne sont même pas vraiment compromettantes. Ce jeudi, une des vidéos filmées secrètement et dévoilées par l’opposition montre le maire de Tbilissi, Guigui Ougoulava, sommer l’oligarque Badri Patarkatsichvili (décédé en 2008) de dire « si tu es avec la Russie ou avec nous ».

Ce WikiLeaks à la géorgienne ferait rire si les risques de violence n’étaient pas aussi élevés qu’ils ne le sont. « L’équipe de Saakachvili ne lâchera jamais le pouvoir. Ivanichvili répète depuis des mois qu’il obtiendra 80% des suffrages, ce qui est ridicule. Mais avec le scandale des vidéos et tous les mécontents de la Révolution des roses, il lui suffit d’invoquer ou d’inventer n’importe quelle fraude électorale pour réunir des dizaines de milliers de personnes dans la rue et s’arranger pour que la violence éclate », redoute le diplomate ci-dessus cité.

Avant le scandale des vidéos, les quelques sondages disponibles donnaient le Mouvement national uni largement vainqueur. Les lignes ont dû bouger, malgré une société qui se polarise de plus en plus. « En même temps, Ivanichvili fout tellement la trouille que beaucoup préférerons s’abstenir, comme moi, ou malgré tout voter pour Micha [Saakachvili]. Lui aussi est fou, mais au moins on le connaît », explique un journaliste connu, requérant l’anonymat en ces temps troublés.

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