Le malaise de l’Eglise orthodoxe russe face à l'happening punk

L’attitude de l’Eglise orthodoxe russe a été contestée dès le début de l’affaire Pussy Riot. Selon certains, elle a eu raison de condamner avec vigueur l’acte iconoclaste, mais d’autres estiment qu’elle aurait du pardonner. Pour le quotidien des affaires Vedomosti, l’Eglise orthodoxe russe serait d’ailleurs en train de commettre « sa plus grande erreur depuis 1901 », quand l’écrivain Léon Tolstoï, anarchiste mystique chrétien, avait été excommunié.

« C’est une honte pour l’Eglise d’avoir envoyé des gens en prison. L’Eglise qualifie leur acte de sacrilège. Mais le vrai sacrilège, c’est de les juger au nom du Christ. La foi chrétienne, c’est la miséricorde et l’amour », a ainsi écrit sur le site Grani.ru un prêtre de Moscou, le père Viatcheslav Vinnikov, 74 ans, dans une critique ouverte du patriarcat. Dans le même sens, le père Andreï Kouraïev, professeur à l’Académie de théologie et un des blogueurs orthodoxes les plus connus, a plaidé lui aussi pour la clémence, même s’il considère que la prestation des Pussy Riot dans la cathédrale est « une chose exécrable ». Mais pour lui, « l’Eglise n’a pas à jouer les procureurs et demander des châtiments sévères », a-t-il déclaré à l’hebdomadaire moscovite The New Times.

Pardonner aux jeunes femmes, plus conforme aux valeurs chrétiennes

L’attitude intransigeante de la hiérarchie orthodoxe russe dans l’affaire Pussy Riot a ainsi écorné l’image de l’Eglise dans la société et troublé une partie des fidèles, y compris des prêtres, pour qui pardonner aux jeunes femmes aurait été plus conforme aux valeurs chrétiennes. Vladimir Oïvine, du site Credo.ru spécialisé dans les affaires religieuses, estime ainsi que : « le procès des Pussy Riot a nui à la réputation de l’Eglise. La hiérarchie orthodoxe a eu tort de donner tant d’importance à cette affaire et d’adopter une position rigide, ce qui a fait de ces femmes des martyres ».

Une prière en plein air pour « corriger le sacrilège »

Car, à l’époque de l’affaire Pussy Riot, le patriarche Kirill avait qualifié l’action de « sacrilège » et le porte-parole du patriarcat, Vsevolod Tchapline, avait estimé que les jeunes femmes avaient commis un « crime pire qu’un meurtre » et devaient être « punies ». Des dizaines de milliers de fidèles étaient alors venus prier en plein air devant la cathédrale, en avril, à l’appel du patriarche pour « corriger le sacrilège ». Dans ce sens et selon un institut de sondage réputé, le Centre Levada, 47% des Russes considèrent qu’une condamnation des Pussy Riot à 7 ans de camp, le maximum prévu par la loi dans leur cas, aurait été tout à fait justifiée.

Un mode de vie luxueux peu conforme à l’idéal évangélique

Cette attitude négative est cependant loin de faire l’unanimité. Une centaine d’artistes russes de premier plan, parmi lesquels le cinéaste Andreï Kontchalovsky et les écrivains Lioudmila Oulitskaïa et Boris Akounine, ont pris la défense des Pussy Riot, désapprouvant à la fois la gravité des charges retenues contre elles, leur maintien en détention pendant cinq mois et la position du patriarcat.

Pour de nombreux observateurs, le procès des Pussy Riot est embarrassant pour l’Eglise et pour le patriarche, qui a déjà été mis en cause à plusieurs reprises ces derniers mois. Le patriarche Kirill avait été notamment critiqué pour avoir soutenu publiquement Vladimir Poutine à l’élection présidentielle de mars. Il avait dans la foulée condamné le mouvement de contestation qui se développait alors contre le Kremlin, accentuant ainsi pour certains le sentiment d’une trop grande proximité entre l’Eglise et l’Etat. Il s’est retrouvé être la cible de critiques après des révélations de la presse laissant entendre qu’il menait un mode de vie luxueux peu conforme à l’idéal évangélique.

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