« Coïncidence tragique », le mot est du président du Parlement chypriote Yiannikis Omirou, à l’heure où son pays s’apprête, pour la première fois, à prendre la présidence tournante de l’Union européenne pour une durée de six mois. Intégrée à l’UE en 2004, Chypre est en effet en fâcheuse posture, à la veille de ce jour qui aurait dû être historique pour une île faisant figure de nain économique à l’échelle du continent. Plus petite économie de la zone euro avec Malte et la Lettonie, Chypre ne représente guère que 0,2% du PIB de l’Union monétaire et moins de 0,002% de sa population (800 000 habitants). Ses problèmes sont néanmoins de taille à inquiéter l'Europe des 27.
Après la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, l'île méditerranéenne est devenue, lundi 25 juin, le cinquième pays de la zone euro à demander de l’aide à l’Eurogroupe pour recapitaliser ses banques. Le jour même, l’agence de notation Fitch dégradait sa note d’un cran, de BBB- à BB+. Auparavant, Moody’s et Standard and Poor’s lui avaient déjà infligé cette sanction qui ne lui permet plus de se financer sur les marchés internationaux. L’appel à l’aide est pourtant substantiel. D’après les experts, ce sont 10 milliards d’euros qu’il faudrait injecter au plus vite dans le secteur bancaire chypriote.
Les banques dans le rouge
Le cas le plus urgent concerne la Cyprus Popular Bank (également connue sous le nom de Marfin Popular Bank ) qui devait trouver 1,8 milliard avant ce samedi pour satisfaire l’autorité de surveillance bancaire européenne, soit ni plus ni moins 10 % du PIB du pays. Comme d’autres, cet établissement a bu la tasse en grande partie à cause de la dette grecque, laquelle représente 40% des engagements externes du secteur bancaire national. D’après le FMI, les banques chypriotes pourraient même être exposées à hauteur de 152 milliards d’euros dans la dette grecque, un chiffre qui fait froid dans le dos car cette somme représente rien moins que huit fois le PIB du pays !
Autant dire que le tableau n’est pas enthousiasmant dans un paysage européen déjà morose et que l’arrivée de Chypre à la tête de l’UE ne pouvait guère plus mal tomber en terme de date. « La présidence chypriote pose un certain nombre de problèmes », fait observer Agnès Benassy Quéré, directrice du CEPII (Centre d’études prospectifs et d’informations internationales). « C’est un pays en crise qui va devoir prendre des décisions par rapport à l’Espagne et par rapport à un éventuel renouvellement d’un plan pour le Portugal ! ». « Et cela s’ajoute, poursuit-elle, à une situation politique qui est quand même très compliquée : elle n’a toujours pas résolu son problème avec la Turquie, qui est un partenaire très important pour l’UE ».
La question turque risque effectivement d’envenimer un peu plus la situation car Ankara ne reconnaît pas la République de Chypre, une situation qui dure depuis 1974 quand le territoire a été divisé en deux parties après le coup d’Etat des nationalistes grecs (administré par les Turcs depuis 1974, le tiers nord-est de l’île n'est pour sa part toujours pas reconnu par la communauté internationale). La Turquie a d’ailleurs déjà fait savoir qu’elle refuserait tout contact avec la présidence de l’UE tant que Chypre en aurait la charge, une tracasserie supplémentaire dont se serait bien passée Bruxelles.
L’atout russe
Toute petite qu’elle soit, Chypre dispose cependant de certains atouts qui lui valent notamment les bonnes grâces de Moscou. La Russie lui a consenti l’an dernier un prêt de 2,5 milliards au taux très préférentiel de 4,5% et les Russes seraient prêts à faire le même effort pour l’exercice 2012. La Chine aussi s’est dite prête à venir en aide à certaine de ses banques. Cette générosité n’est évidemment pas fortuite. La présence d’immenses champs gaziers dans les eaux territoriales chypriotes attise les convoitises des uns et des autres. Quand cette manne sera exploitée, elle pourrait rapporter de 3 à 4 milliards d’euros annuels à l’économie chypriote.
Autre atout de Chypre, un taux d’imposition très faible sur les sociétés (10%) qui a attiré beaucoup d’investisseurs étrangers ces dernières années et en particulier des Russes. « Les Chypriotes grecs ne comptent pas sur Bruxelles, ils préfèrent compter sur Moscou », ose Gengis Aktar, directeur du Centre pour l’Union européenne à l’Université Bahçesehir d’Istanbul. « Le président Christofias, qui est communiste et a fait ses études en Russie, a toujours entretenu d’excellentes relations avec la Russie de Poutine », rappelle-t-il. Un Demetris Christofias qui a toutefois perdu beaucoup de son crédit après l’affaire de la base navale de Mari en juillet 2011 (1) et qui voit approcher la présidentielle de février 2013 avec une certaine inquiétude.
En attendant, Chypre devrait pouvoir bénéficier d’un ballon d’oxygène sous la forme d’une aide du fonds de secours de la zone euro ainsi que du FMI. Une troïka BCE, FMI, UE doit se rendre à Nicosie la semaine prochaine afin de mettre sur pied un programme d’aide susceptible de garantir la stabilité du secteur financier. Aucune somme n’a pour le moment été officiellement évoquée lors de l'annonce faite mercredi 27 juin. Prévoyant, le ministère chypriote des Finances a d’ores et déjà obtenu que l’impôt favorable aux sociétés ne soit pas remis en cause dans les négociations, une concession qui ressemble déjà à une petite victoire pour un pays en plein marasme.
(1) Le 11 juillet 2011, une explosion survenue sur cette base militaire avait fait 12 morts et plus de 60 blessés, catastrophe causée par des munitions iraniennes destinées à la Syrie.