Jean-François Jamet, économiste: « Redonner aux Grecs la confiance d’atteindre le bout du tunnel »

Le nouveau Premier ministre grec conservateur, Antonis Samaras, a mis en place ce jeudi 21 juin 2012 une équipe gouvernementale restreinte qui va tenter de renégocier le plan d’aide que l’Union européenne et le Fonds monétaire international lui ont octroyé. Athènes souhaite revoir les conditions de ce plan. Est-ce possible et dans quelle mesure ? L’économiste Jean-François Jamet, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et spécialiste de l’économie européenne, répond aux questions de RFI.

RFI : Quels aspects du plan d’aide les Grecs peuvent-ils renégocier ?

Jean-François Jamet : Il y a deux parties dans ce plan. Il y a l’octroi d’un certain nombre de prêts d’un côté, et de l’autre côté un certain nombre de conditions, c'est-à-dire des réformes que la Grèce doit entreprendre, à la fois pour réduire son déficit public et pour donner des perspectives à l’économie grecque, la rendre plus compétitive.

RFI : On imagine, du coup, qu’il y a des impondérables pour les Européens, tout comme pour le FMI…

Jean-F. J. : Oui, notamment du côté des réformes à entreprendre. C’est là que les Européens et le FMI vont être le plus exigeant. On sait d’ores et déjà que le mémorandum lui-même ne sera pas réduit sur ce plan-là, et des efforts supplémentaires seront même probablement demandés à la Grèce d’un point de vue des réformes, puisqu’il y a un doute sur sa volonté de mettre en œuvre un certain nombre de réformes institutionnelles et fiscales.

Par contre, de l’autre côté, il est clair que la Grèce ne pourra pas atteindre ses objectifs dans le temps qui lui avait été imparti précédemment. Cela suppose que les Européens et le FMI fassent un effort supplémentaire, donnent plus de temps pour permettre à la Grèce d’avoir des prêts à des conditions à nouveau allégées et pour une durée additionnelle.

RFI : Y a-t-il des leviers que l’on peut actionner, des aspects sur lesquels on peut intervenir aujourd’hui, ou à plus long terme, dans la renégociation ?

J-F. J. : Absolument, et c’est ce qui peut rendre optimiste. D’abord, la réduction du déficit en Grèce est en cours, et notamment du déficit hors intérêt. Donc, on comprend que dans la situation actuelle, ce qui serait absolument fondamental, c’est de donner une sorte de bouffée d’air à la Grèce en lui donnant, par exemple, une sorte de délai de grâce sur ces taux d’intérêt, lui permettant de ne pas rembourser immédiatement.

Entre temps, il faut essayer de trouver des marges de manœuvre pour accélérer le mouvement du côté de la réduction du déficit, par exemple en diminuant les dépenses militaires, et également en faisant en sorte que la réforme fiscale soit accélérée. Là-dessus, on peut envisager que la France, qui a une très bonne expérience de ces questions fiscales, peut aider la Grèce à accélérer le mouvement dans la mise en place d’un fisc efficace.

RFI : L’Union européenne a-t-elle tout intérêt à se montrer un peu plus souple pour permettre à la Grèce de rester dans la zone euro ? Est-il indispensable aujourd’hui d’aborder les choses avec plus de souplesse ?

J-F. J. : Il est évident que le mémorandum tel qu’il existe aujourd’hui, avec les conditions qui sont imposées à la Grèce, ne lui permettra pas d’atteindre les objectifs qui lui ont été fixés. La situation économique est trop mauvaise et, par conséquent, tout cela n’est plus réaliste. Donc, il n’y a pas de choix : si l’on veut que la Grèce reste dans la zone euro, il va falloir lui donner quelque chose de plus. Toute la question est : peut-on faire confiance à la Grèce pour qu’un certain nombre de réformes assez fondamentales soient cette fois-ci mises en œuvre, alors que politiquement, la situation reste fragile dans le pays ?

RFI : Politiquement, toutes les mesures d’austérité supplémentaires qui pourraient être demandées sont justement rejetées par la population. Quelles sont les attentes des Grecs aujourd’hui ?

J-F. J. : Les Grecs sont un petit peu déprimés. Le mot est faible à l’égard de ce qui se passe dans le pays, parce qu’ils n’en voient pas la fin. Il faut donc leur redonner la confiance d’atteindre le bout du tunnel.

D’abord, il faut les rassurer sur leurs banques. On voit beaucoup de Grecs qui finissent par déplacer leurs épargnes vers des banques étrangères. Ça affaiblit considérablement le système grec. La Grèce bénéficierait de l’Union bancaire, qui est en préparation.

Deuxièmement, il faut donner une perspective sur les taux d’intérêt extraordinairement élevés que la Grèce paie actuellement. Cela voudrait dire, sans doute, lui donner plus de temps et lui dire : « Certes, on vous demande des efforts de réduction de la dépense et d’augmentation des prélèvements, mais à côté de cela, on va réduire la charge des intérêts ».

Si on ajoute à cela que l’Europe fait un effort avec des investissements qui sont fléchés vers la Grèce, alors peut-être qu’on peut essayer de redonner de l’espoir à une population qui en a bien besoin. Mais pour qu’elle reprenne pleinement confiance, il faudra qu’elle retrouve confiance dans son propre système politique. Et c’est là qu’il y a aussi beaucoup de travail et que des pays comme l’Allemagne vont être particulièrement exigeants.

RFI : Est-ce qu’il existe aujourd’hui un consensus européen pour soutenir la Grèce dans ses efforts de renégociation du plan d’aide ?

J-F. J. : Il n’y a pas de consensus en Europe précisément sur les choses à demander et à offrir à la Grèce. C’est l’objet d’un grand nombre de consultations qui sont en train de se tenir. C’est aussi partiellement l’objet des discussions qui vont se tenir entre la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, ce vendredi. Il y a beaucoup de discussions là-dessus, parce que l’on sent bien qu’un certain nombre de pays commencent à être un petit peu épuisés par l’histoire grecque, qui depuis maintenant plus de deux ans met la zone euro dans une situation très difficile. En même temps, les pays membres de la zone euro mesurent bien qu’une sortie d’un Etat de la zone euro reviendrait à plonger dans l’inconnu.

RFI : La confiance, pour éviter ce qui pourrait être le scénario le plus redoutable, à savoir la sortie de la Grèce de la zone euro. La renégociation pourrait laisser espérer qu’on éviterait ce scénario ?

J-F. J. : Oui, on peut essayer d’être optimiste aujourd’hui. La Grèce, même si elle est dans une situation économique extraordinairement difficile, a fait des progrès sur la réduction de son déficit, qu’on appelle « primaire », c'est-à-dire avant le paiement des taux d’intérêt. Par conséquent, il faut poursuivre l’effort, mais dans des conditions réalistes.

On ne peut pas faire une saignée de la Grèce sans lui apporter des éléments de relance. Ils ne peuvent venir que de l’extérieur. Et comme je le disais, il faut aussi apporter des éléments de protection de son système bancaire. De la même façon, la Grèce doit donner des garanties sur ses capacités à se réformer, et encore une fois sur le plan institutionnel, politique et fiscal.

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