Au Salon Eurosatory 2012, les marchands d'armes se tournent vers le secteur privé

Le Salon de l’armement Eurosatory s’est ouvert ce lundi 11 juin 2012, à Villepinte, près de Paris. 1 400 exposants venus de 53 pays se sont donné rendez-vous jusqu’à la fin de la semaine. Dans une économie de la défense et de la sécurité bouleversée par les crises géopolitiques et financières, les industriels doivent se tourner vers de nouveaux marchés, qui ne relèvent plus du budget des Etats mais bien du secteur privé. Ils doivent surtout adapter leur offre aux nouvelles réalités des terrains de conflits.

L'industrie française de l'armement terrestre représente cinq milliards de chiffre d'affaires, mais ce salon reste très tourné vers l’international : près de 70% des exposants sont étrangers. C'est encore au Proche-Orient et en Asie que les indusriels français de la défense tirent le mieux leur épingle du jeux. Car les budgets européens de défense, eux, fondent comme neige au soleil.

Sécurité privée

Eurosatory est très tourné cette année, vers la sécurité : sécurité des Etats, sécurisation des frontières, et sécurité privée. Un marché en pleine expansion, qui représente pas moins de 50 milliards d’euros au niveau mondial : « On voit arriver des équipes d’ingénieurs travaillant pour des sociétés pétrolières, des sociétés de transports, des clubs vacances qui viennent chercher des solutions de sécurité après des industriels de la défense. Il est évident qu’un industriel qui fabrique des caméras pour l’armée, est tout à fait capable de fournir des caméras pour le Stade de France ! La différence, c’est que quand on vend des caméras aux armées, c’est un marché de 60 ou 70 caméras, alors que quand on vend des caméras pour une société de transport en commun, c’est un marché de 2 000 ou 4 000 caméras, mais ce sont les mêmes technologies et donc les mêmes industriels qui confectionnent les produits de sécurité et les produits de défense », explique Patrick Colas des Francs, le commissaire général du salon.

Les sociétés militaires privées font florès

Dans le sillage de l’offre en matière de matériel de sécurité, se sont engouffrées les sociétés militaires privées (SMP). Pour la première fois, elles sont invitées à Eurosatory. La demande est très forte dans les secteurs de sécurité maritime, l’escorte, la protection des sites pétroliers, ou tout simplement pour des tâches de soutiens aux armées traditionnelles dans le cadre du processus dit d’externalisation consistant à laisser au privé des pans entiers de l’activité autrefois prise en charge par la défense nationale.

Alors que la France n’a toujours pas légiféré sur le dossier, (un projet de loi pourrait être déposé dans un avenir proche) les SMP tiendront leur stands à Eurosatory, mais les organisateurs du salon disent avoir fait le tri. « Dans ce secteur, il faut être très prudent, c’est pour cela que nous avons choisi de n’inviter que les sociétés respectant la convention de Montreux, qui impose à ces sociétés un cadre d’emploi et un cadre éthique très détaillé », assure Patrick Colas des Francs. En fait la convention de Montreux fixe un cadre non contraignant aux sociétés militaires privées. Elle a été adoptée par 17 pays.

Les traces des révolutions arabes

C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet « place Tahrir ». C’était déjà très perceptible à l’automne dernier, lors du Salon Milipol à Paris : les industriels de l’armement terrestre adaptent leurs productions à la lutte anti-émeute ou à l’intervention. Un marché en forte hausse à l’exportation, reconnaît Christian Mons, président du Groupement des industries françaises de défense terrestre (Gicat) et patron du fabricant de véhicule militaire Panhard : « C’est vrai que dans les pays du Proche-Orient, mais pas seulement, on voit émerger une demande pour des produits qui étaient autrefois orientés défense, et qui sont maintenant adaptés au contrôle de foule ou au contrôle des frontières par exemple. Nous intégrons des systèmes de dispersion, comme des lances à eaux, ou des gaz lacrymogènes. Ce phénomène est apparu compte tenu de la violence de certaines confrontations, et cela sert surtout à protéger les forces de l’ordre. »

Réduction de budgets en Europe

En Europe, les matériels dits « traditionnels » destinés aux force terrestres, se vendent moins bien. Face à la contraction des budgets de défense, les commandes de chars, de pièces d’artilleries ou de blindés se font plus rares. Le dernier char lourd de type Leclerc est sorti des chaînes d’assemblage en 2006. En France, un nouveau Livre blanc et une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) devront définir les nouvelles priorités pour les années à venir.

Côté industriels, l’Europe ne compte pas moins d’une dizaine de fabricants de blindés, soit autant de concurrents, pour des marchés nationaux « réduits ». Pour Phillipe Burtin, à la tête du constructeur français Nexter, détenu à 100% par l’Etat, il faut commencer à réfléchir à des alliances, avec des industriels italiens ou allemands, afin de faire émerger une Europe de l’industrie terrestre de la défense : « Aujourd’hui, cette industrie reste fragmentée, car au départ tout le monde s’est intéressé en priorité à son marché national, quitte à développer des produits similaires, de manière parallèle, voire des produits concurrents ! Les pays en dévelloppement, les « Bric » (Brésil, Russie, Inde, Chine) proposent maintenant des produits qui montent en gamme et en qualité, les marchés européens sont ouverts à la concurence, donc il faudra structurer l’industrie européenne de la défense, pour mieux la défendre. »

Illustration de ces transformations dans le secteur : Eurosatory accueille cette année les fabricants d’armement chinois, indiens, turques, sud-coréens ou sud-africains, dont certains sont à présent très compétitifs.

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