Taxe sur les transactions financières: Nicolas Sarkozy fait le forcing

Le projet du président français Nicolas Sarkozy d'instaurer une taxe sur les transactions financières a été au cœur de ses discussions avec la chancelière allemande Angela Merkel, ce 9 janvier 2012, à Berlin. La chancelière a salué la volonté de la France d’instaurer cette taxe Tobin tout en précisant que cette nouvelle taxe ne fait pas l’unanimité côté allemand.

Le chef de l’Etat français a pris de court ses partenaires européens en annonçant, vendredi 6 janvier 2012, que la France n’attendrait pas un consensus européen pour mettre en place la taxe sur les transactions financières en France.

Nicolas Sarkozy avait déjà fait part de son intention dans ses vœux aux Français le 31 décembre 2011: « Il faut faire participer la finance à la réparation des dégâts qu'elle a provoqués. La taxe sur les transactions financières doit être mise en œuvre ».

Cette taxe est également appelé « taxe Tobin », du nom de l’économiste américain James Tobin, qui, le premier a évoqué l’idée d’une taxe sur les transactions financières, en 1972. Cette idée de taxe lancée par un économiste libéral, a été récupérée et popularisée par les altermondialistes au tournant du millénaire. C’est ainsi qu’est né, en France, le mouvement ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne).

L’histoire

En août 1971, le président américain Richard Nixon décide d'abolir la convertibilité du dollar en or, mettant fin, de fait, au système monétaire international mis en place en 1944 par les accords de Bretton Woods, qui garantissaient une grande stabilité des taux de change. C'est dans ce contexte qu'en 1972, le professeur d'économie américain James Tobin évoque l'idée d'une taxe d'un taux très faible (entre 0,05% et 0,2%) sur les transactions financières afin de limiter l'instabilité des marchés financiers en freinant le développement de la spéculation à court terme. Il reçoit le prix Nobel d'économie en 1981.

La taxe est remise au goût du jour au milieu des années 1990, après une première crise du système monétaire européen en 1992, puis la crise du peso mexicain en 1994. Cette année-là, le président français, le socialiste François Mitterrand, relance l'idée au sommet social de Copenhague, et elle est à nouveau évoquée un an plus tard en marge du G7 à Halifax. En décembre 1997, dans un éditorial du Monde diplomatique intitulé « Désarmons les marchés », le journaliste Ignacio Ramonet estime que la taxation des revenus financiers est une « exigence démocratique minimale ». Le journaliste la qualifie de taxe de « solidarité ». Même modique (0,1%), elle procurerait des revenus colossaux pour « éradiquer la pauvreté extrême d'ici au début du siècle ». C’est le début du mouvement altermondialiste incarné par l’association ATTAC.

La taxe Tobin est à nouveau évoquée en 2008, après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, qui marque le début de la crise dite des « subprimes » et relance la critique sur la finance internationale et la spéculation. En pleine tourmente financière, la taxe surgit ensuite au G20 finances de novembre 2009. En juin 2011, la Commission européenne propose à son tour l'introduction d'une taxe sur les transactions financières à partir de 2014 pour alimenter le futur budget de l'Union européenne.

L’objectif

Selon ses promoteurs, la taxe sur les transactions financières freinerait la spéculation et donc l'instabilité sur les marchés. Les ordres d'achat ou de vente spéculatifs se caractérisent souvent par leur grand nombre, leur extrême rapidité (on achète pour revendre quelques minutes, voire quelques fractions de seconde plus tard) et leur faible marge bénéficiaire. Une taxe même très faible s'appliquant systématiquement à chaque transaction réduirait donc suffisamment le bénéfice du spéculateur pour le décourager. La taxe, de par son faible taux, ne nuirait pas, en revanche, aux investissements sur le long terme. Elle pourrait être appliquée sur les transactions monétaires internationales ou sur toutes les transactions sur les marchés financiers (Bourse, marché obligataire, marchés dérivés…).

Le principe d'une taxe sur les transactions financières est soutenu par la Commission européenne et par certains Etats dont la France, l'Allemagne et la Belgique. En revanche, les banques, les opérateurs boursiers sont opposés à une telle mesure, de même que les Etats-Unis. La Grande-Bretagne, la Banque centrale européenne (BCE) sont contre toute taxe qui ne s'appliquerait pas mondialement.

Les critiques

Ceux qui dénoncent l’efficacité d’une telle mesure s’appuient notamment sur l’expérience suédoise. En 1984, la Suède instaure une taxe de 0,5% sur les transactions financières sur son marché d'actions. Ce taux est doublé en 1986, puis la taxe étendue au marché des obligations. Mais l'expérience est un échec : les revenus ainsi générés s'avèrent décevants car la taxe provoque une fuite des capitaux hors du pays, vers les Bourses de Londres et New York ou des placements offshore. L'expérience est abandonnée en 1990.

A Paris, l’association Paris Europlace, qui représente l’ensemble des acteurs de la place financière française, déclare « son opposition à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières qui, si elle n’était pas européenne, affaiblirait l’économie française ». Elle affirme que cette taxe toucherait à la fois des transactions considérées comme spéculatives, mais aussi les autres transactions réalisées par les investisseurs privés, les entreprises et les investisseurs institutionnels. Le surcoût qu’elle engendrerait pour les banques alourdirait les conditions de financement des entreprises françaises et entraînerait une perte de substance de la place financière de Paris, aboutissant inéluctablement à une délocalisation des activités. Même critique de la part du patronat français.

Les différents points de vue à l’étranger

Berlin critique le cavalier seul de Paris et défend le projet conçu par la Commission européenne et privilégie un consensus au niveau de l'UE, ou au moins de la zone euro, de peur de plomber la compétitivité de la place financière de Francfort. Même position de l’Italie. Les Anglais, eux, n’en veulent pas, tant qu’une telle taxe n’est pas instaurée au niveau mondial. Ils craignent pour l’attractivité de la place financière de Londres. La Banque centrale européenne est également opposée à une taxe qui ne s’appliquerait pas mondialement. Quant à la Commission européenne, elle rappelle la nécessité d’une « approche cohérente » entre les pays européens en vue d’obtenir des « résultats efficaces ». Elle a proposé, en juin 2011, l’introduction d’une taxe sur les transactions financières à partir de 2014 pour alimenter le futur budget de l’Union européenne.

Dans le monde, l’Argentine et l’Afrique du Sud montrent leur intérêt, mais en revanche les Etats-Unis et la Chine y sont farouchement opposés.

Réactions politiques en France

Au Parti socialiste, Manuel Valls, porte-parole du candidat François Hollande, estime qu’en proposant une taxe qu’il avait « combattue jusqu'à maintenant », Nicolas Sarkozy, « joue une nouvelle fois le bluff et l'incohérence ». Le député Julien Dray craint un « gadget, voté mais inapplicable ». La candidate écologiste Eva Joly, se réjouit que Nicolas Sarkozy se soit « rallié » à une idée défendue par son camp depuis longtemps. François Bayrou, candidat du MoDem, demande que la taxe serve au financement de la protection sociale. Quant à Dominique de Villepin, il a qualifié le projet de « stupide ». 

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