Le débat sur le génocide arménien provoque la colère d’Ankara

Au risque d’une grave crispation des relations avec la Turquie, l’Assemblée nationale française debat, ce jeudi 22 décembre, d’une proposition de loi visant à sanctionner la négation du génocide arménien. Deux délégations turques, l’une regroupant des députés, l’autre des entrepreneurs, n’ont pas réussi à barrer la route à cet examen de loi qui provoque la colère d’Ankara.

« Il n'est pas question pour nous d'accepter cette proposition de loi qui dénie le droit de rejeter des accusations infondées et injustes contre notre pays et notre nation », a réagi dans un communiqué le chef de l'Etat turc, Abdullah Gül. 

Déjà, en 2001, la France avait reconnu l'existence d'un génocide d'Arméniens commis entre 1915 et 1917 et ayant fait 1,5 million de morts. Mais avec la nouvelle proposition de loi, l’UMP veut aller plus loin, en pénalisant la contestation du génocide. Le texte prévoit un an de prison et 45 000 euros d'amende en cas de négation d'un génocide reconnu par la loi.

« Peut-être que les responsables turcs voient là quelque chose qui ne leur plaît pas », a déclaré le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Ollier, qui représentera le gouvernement lors de l'examen du projet de loi, « il faut leur expliquer simplement que c'est une proposition de loi qui vise à sanctionner la non-reconnaissance de tous les génocides quels qu'ils soient. Ce n'est pas uniquement le problème des Arméniens ».
 
« La réaction de la Turquie sera plus dure que la France ne le pense »

Mais Ankara est resté sourd à cet argument et menace la France de lourdes conséquences si l’Assemblée vote en faveur de la loi. « La réaction de la Turquie sera plus dure que la France ne le pense », prévient Volkan Bozkir, le président de la commission des Affaires étrangères du Parlement turc qui était à la tête de la délégation de députés dépêchée à Paris pour convaincre leurs homologues français de renoncer à cette loi, inacceptable à leurs yeux. « Notre partenariat économique vaut 20 milliards d’euros par an. Nous pouvons envisager la construction de centrales nucléaires, l'achat d'avions et bien plus encore. Je suis ici pour stopper cette loi néfaste qui ruinerait notre merveilleuse coopération. »
 

Paris ne semble pas vouloir se laisser intimider : « La Turquie est membre de l'Organisation mondiale du commerce et est liée à l'Union européenne par un accord d'union douanière. Ces deux engagements juridiques impliquent un traitement non discriminatoire à l'égard des entreprises de l'UE », a souligné le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Bernard Valero.
 
Pourquoi prendre le risque d’une crispation des relations franco-turques à l’heure où la France a particulièrement besoin d’une collaboration étroite avec la Turquie, partenaire désormais incontournable dans le règlement des dossiers iranien et syrien ?  

Ankara accuse la France d’arrière-pensées électoralistes pour 2012 : « C'est juste une tentative d'avoir plus de voix aux élections. Je ne vois que ça comme seule excuse », s’insurge le député Volkan Bozkir. C’est un avis partagé par Ümit Boyner, présidente du patronat turc Tusiad :  « Tous les cinq ans, fait-elle remarquer, cette question revient avant les élections présidentielle et législatives pour obtenir les voix des Français d'origine arménienne ».
 
Le génocide arménien : un enjeu électoral en France
 
Il est vrai que le président français Nicolas Sarkozy a une promesse à tenir. En 2007, lors de son élection, il avait assuré aux quelque 500 000 Arméniens vivant en France de soutenir la punition de toute négation du génocide dont leurs proches étaient les victimes au début du dernier siècle. En octobre dernier, lors de sa visite en Arménie, le chef de l’Etat est revenu à la charge en se disant clairement favorable à une loi dans ce sens, si la Turquie ne reconnaissait pas officiellement le massacre d’un million et demi d’Arméniens.

Dans une interview au quotidien Le Monde daté du 22 décembre, le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu s’est dit « surpris » par l’initiative française, affirmant que le président Sarkozy avait promis au Premier ministre Erdogan qu’il s’engagerait à abandonner cette initiative et qu’il s’y opposerait. « Nous voyons cette nouvelle initiative comme une attaque contre l’histoire de la Turquie », a indiqué M. Davutoglu, tout en se disant « vraiment surpris de voir le pays des Lumières interdire une discussion intellectuelle et punir une opinion ».
 
« Où est la liberté d’expression ? »
 
Même les scientifiques turcs, qui avaient pourtant participé en 2005 à la première grande conférence universitaire en Turquie sur la question arménienne, se rangent du côté du gouvernement. « Où est la liberté d'expression, où est la liberté universitaire et académique? », dénonce le scientifique l'historien Ahmet Kuyas, de l'université francophone de Galatasaray, à Istanbul, qui se réjouit de voir les échanges se multiplier entre historiens turcs et arméniens.
 
Jusqu’à présent, la Turquie ne reconnaît que la mort de 500 000 Arméniens entre 1915 et 1917 mais elle considère qu'ils ont été victimes des aléas de la Première Guerre mondiale et non d'un génocide. 

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