Paris-Rome, sommet d’urgence pour éteindre le feu des polémiques

Le torchon brûle entre Paris et Rome depuis la décision du gouvernement Berlusconi d’octroyer 20 000 permis de séjour temporaire aux migrants tunisiens qui ont débarqué sur l’île de Lampedusa, entre le mois de janvier et le début du mois d’avril. La question de l’immigration et des accords de Schengen seront au centre du sommet bilatéral qui se tiendra le 26 avril à Rome. D’ici là, les sherpas italiens et français tentent d’alléger les tensions. Un travail particulièrement ardu.

De notre correspondante à Rome

Les fêtes de Pâques, très suivies en Italie, pays de tradition catholique, ont indubitablement joué un rôle, dans la modération du ton des personnalités politiques et de la presse qui se sont exprimées sur le bras de fer diplomatique Paris-Rome, à la veille d’un sommet bilatéral qualifié de « sommet d’urgence ».

Ainsi même La Padania, quotidien de l’influente Ligue du Nord, connue pour ses penchants xénophobes- et qui est le véritable talon d’Achille de la majorité de droite au pouvoir- annonce dans son numéro en kiosque ce lundi 25 avril « Immigration : l’Italie et la France travaillent de concert sur un accord qui sera présenté à l’UE ». Surprenante sobriété pour ce journal ! Le plus enragé contre « l’Europe traître » qui « comme Ponce Pilate s’est lavé les mains de toute la question sur les migrants ». Le quotidien italien le plus véhément, aussi, contre « la France de Nicolas Sarkozy qui lance des bombes en Libye dans le seul but de s’accaparer l’or noir » et qui refuse d’accueillir « des Tunisiens qui parlent français ! ».

L’immigration est de fait le thème au cœur du contentieux diplomatique entre l’Italie et la France qui s’est aggravé depuis la décision de l’exécutif Berlusconi d’octroyer des permis de séjour de six mois aux 20 000 Tunisiens arrivés entre le 1er janvier et le 5 avril en Italie. Date à laquelle Rome a signé un nouvel accord de coopération avec le gouvernement tunisien transitoire qui prévoit la réadmission des Tunisiens « migrants économiques », arrivés sur les côtes de la péninsule après le 5 avril. Des rapatriements effectivement entamés depuis, à raison de 30 par jour.

Une politique si généreuse

Pour l’Italie, ces permis de séjour sont bel et bien avant tout des permis pour la France, pays que souhaitent rejoindre la majorité des jeunes migrants tunisiens. C’est une façon de « vider la baignoire » comme l’a déclaré, crûment, le chef de la Ligue du Nord, Umberto Bossi. Force est de constater que Rome, en payant des billets de train pour les Tunisiens, sans ressources, a d’ailleurs fait preuve d’une extraordinaire générosité !

En effet, les billets de train sont offerts aux migrants tunisiens en possession d'un permis de séjour temporaire « pour motif humanitaire » qui transitent par la gare centrale Termini de Rome. Un service mobile d'assistance sociale a été mis en place près d'une des entrées de la gare, le 18 avril. Il sert à la fois de bureau d'information pour ceux qui ont besoin d'être temporairement hébergés et aussi de guichet-billets. Les migrants doivent montrer leur permis puis indiquer le lieu de leur destination. Ils sont conseillés : telle gare pour la France ou telle autre pour l'Allemagne par exemple. En principe, ils reçoivent le billet 24 heures après en avoir fait la demande. Entre le 19 et le 25 avril près de 700 billets ont été offerts la majeure partie pour Vintimille.

Les frais sont à la charge de la Protection civile italienne qui dépend du Conseil des ministres et de la province de Rome, donc de l'Etat et non pas d'associations caritatives ou ONG. Cette démarche n'a fait l'objet d'aucune déclaration officielle de la part du gouvernement. Par contre, certains calculs ont dû être vite faits par la généreuse Italie : un billet pour Vintimille coûte entre 52 et 60 euros en seconde classe, la prise en charge quotidienne d'un migrant 45 euros ! Qui plus est, c'est une façon de vider très rapidement la fameuse « baignoire » dont parle le chef de la Ligue du Nord, Umberto Bossi.

Mais pour Paris -le ministre français de l’Intérieur, Claude Guéant l’a répété à maintes reprises- ces titres de séjour ne peuvent être valides sans passeport et sans une garantie de ressources de la part du migrant. Durant le sommet bilatéral, les deux pays vont tenter de trouver sur ce point un accord, qu’ils devraient ensuite présenter à Bruxelles. Mais selon le chef de la diplomatie italienne Franco Frattini, qui a accordé un entretien au prestigieux quotidien économique Il sole 24 0re (publié le 24 avril) « Il n’est pas question de mettre en discussion la libre circulation dans l’espace Schengen, le Traité étant un des deux axes porteurs de l’Europe avec l’euro. Il s’agit plutôt de l’adapter au monde qui change rapidement ».

Les points de discorde

Le second point chaud concerne la Libye. Selon la presse transalpine, Nicolas Sarkozy demandera probablement un engagement majeur des forces militaires italiennes. Mais pour l’heure l’Italie, qui a colonisé la Libye entre 1911 et 1943 et qui a noué des liens économiques considérables avec ce pays depuis 1970, refuse de participer aux bombardements et se montre toute aussi réticente, officiellement du moins, à une éventuelle intervention sur terre.

Enfin troisième dossier qui a fait brûler le torchon entre les deux pays « cousins » : les relations économiques et plus précisément ce qui est défini par les Italiens comme « La Campagne d’Italie des grands groupes français ». Les cas de Lactalis, qui voudrait s’emparer du géant laitier, Parmalat, ou de LVMH qui a raflé un des grands symboles du « made in Italy », le bijoutier Bulgari, ne seront sans doute pas abordés. Mais l’Italie réitérera sa volonté (un peu tardive !) de défendre des secteurs stratégiques nationaux.

Selon différentes sources diplomatiques, il sera aussi question du nucléaire. Le retour à l’atome voté par le Parlement en 2008 était un des projets phares du gouvernement Berlusconi qui s’était fixé pour objectif de produire 25% de ses besoins en électricité d’ici 2030, grâce au nucléaire. Pour cela, le français EDF et son homologue italien Enel s’étaient alliés en 2009 afin de construire d’ici 2014 quatre réacteurs EPR en Italie. Mais après l’adoption d’un moratoire d’un an sur le retour à l’atome, le 23 mars, suite à la catastrophe du Fukushima, le Parlement vient d’adopter un amendement pour abroger sine die les dispositions relatives à la construction de centrales électriques nucléaires en Italie.

Enfin, détail à ne pas négliger pour mieux comprendre les tensions franco-italiennes : la concomitance de deux échéances électorales. L'élection présidentielle de 2012 pour Nicolas Sarkozy qui, selon Il Corriere della Sera « doit gonfler les muscles pour stopper l’irrésistible ascension de Lady Le Pen, symbole de l’extrême droite populiste et xénophobe en France » et les élections administratives qui se tiendront au mois de juin en Italie et qui, toujours selon Il Corriere della Sera, « poussent Silvio Berlusconi à s’aplatir sur la Ligue du Nord, son allié populiste, raciste, anti-européen, indispensable à la tenue de son gouvernement ».

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