Il ne manquait que cela. Deux jours avant les cérémonies à la mémoire des victimes du massacre de Katyn et de la catastrophe de Smolensk avec la participation des deux présidents, les autorités russes ont enlevé, à Smolensk, une plaque rédigée en polonais, évoquant la mort des passagers de l’avion présidentiel et leur volonté de commémorer « l’acte soviétique de génocide commis contre des prisonniers de guerre et des officiers polonais ». Un véritable chiffon rouge pour le Kremlin, qui refuse de reconnaître le crime de Katyn comme « génocide ».
Depuis cinq mois, les diplomates russes et polonais essayaient de trouver une solution. Les Russes ont clairement raison sur le plan juridique. La plaque a été posée par des personnes privées, sur le territoire russe, sans la moindre consultation avec les autorités russes, ni même avec les autorités polonaises, qui s’y seraient certainement opposées. De surcroît, cette plaque ne comporte pas un mot en russe. Du côté polonais, on en appelle donc juste à la compréhension russe des sentiments des familles, bouleversées par la perte cruelle des êtres chers, dans un endroit non moins cruellement chargé d’histoire. On propose aussi de ne pas toucher à la fameuse plaque tant qu’un accord commun sur un monument qui pourrait la remplacer ne sera pas trouvé.
Affaire internationale
Mais le gouverneur de Smolensk en a décidé autrement. La plaque originale est remplacée par une autre, en russe et en polonais, mais sans la moindre mention concernant le but du voyage, tragiquement interrompu à quelques centaines de mètres de l’aéroport militaire de Smolensk. Et le choix du moment frôle une provocation : après cinq mois d’attente, la plaque polonaise est supprimée à deux jours de la rencontre des présidents des deux pays à Katyn et Smolensk. Comme il est très difficile d’imaginer que, dans un pays comme la Russie, un gouverneur local puisse prendre une telle décision sans l’aval de Moscou, l’affaire prend vite une tournure politique et devient une affaire internationale. A Varsovie, on se demande même s’il ne s’agit pas d’un coup tordu de Vladimir Poutine, qui contrôle l’administration régionale, contre Dmitri Medvedev, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012.
L’opposition conservatrice polonaise, dirigée par le frère jumeau du président mort à Smolensk, va jusqu’à demander l’annulation de la rencontre du président Komorowski avec son homologue russe. Le ministère des Affaires étrangères russe fait part de son « étonnement » face aux protestations polonaises et remarque ironiquement que « le ministère s’attend à ce que les responsables polonais reconnaissent que le russe est la langue officielle en Russie ».
Reconnaissance indiscutable et irrévocable
C’est dire l’ambiance qui régnait dans les relations entre Varsovie et Moscou à la veille des cérémonies. Les présidents Bronislaw Komorowski et Dmitri Medvedev y participeront. Le chef de l’Etat russe annonce une solution de compromis, un nouveau monument portant une inscription rédigée ensemble par les deux parties : « Le contenu du texte qui sera inscrit sur ce monument – a-t-il dit – fera l'objet d'un accord entre les parties. Cela a une importance particulière dans le contexte des événements de ces derniers jours ». Bref, l’issue proposée déjà par les Polonais, mais sans préserver la plaque originale jusqu’à la construction du monument.
Ceci dit, la présence même d’un président russe à Katyn et Smolensk, en compagnie de son homologue polonais, est autrement plus importante politiquement que l’histoire de la plaque. Et les Polonais vont certainement apprécier ses déclarations sur place confirmant la reconnaissance indiscutable et irrévocable par l’Etat russe du crime de Katyn comme l’œuvre des dirigeants soviétiques de l’époque.
Et pourtant, le chemin vers une véritable réconciliation risque d’être encore long et difficile. Dans les familles des victimes du massacre de Katyn, une deuxième génération attend toujours que tous les documents sur ce crime, documents détenus dans les archives russes, soient enfin rendus publics. En particulier, environ 5 000 familles ne savent toujours pas, 71 ans après les faits, où ont été enterrés les corps de leurs proches.
Zones d’ombre
Et puis, les zones d’ombre demeurent toujours sur la catastrophe de Smolensk, et certains comportements russes en la matière suscitent la colère en Pologne, en ravivant les vieux clichés anti-russes, facilement récupérés politiquement par le parti Droit et Justice de Jaroslaw Kaczynski. Le prédécesseur de son frère, Lech Kaczynski, au poste du président de la Pologne, Aleksander Kwasniewski, regrettait au micro de RFI que la catastrophe n’ait finalement pas joué le rôle de catalyseur d’une vraie réconciliation entre les deux peuples :
« Juste après la catastrophe, il y a eu, de la part des Russes, des gestes de sympathie et de compassion. C’était une bonne base pour aller de l’avant. Mais la politique a gâché beaucoup de choses. Les Russes ont dû affronter des thèses exprimées par une partie de l’opinion polonaise, selon lesquelles il s’agissait peut-être d’un attentat fomenté par les Russes. Du côté polonais, beaucoup de mal a été causé par la commission d’enquête russe. Son rapport a été rédigé selon un vieux schéma russe, voire même soviétique : ' On ne va pas pointer vos erreurs, mais n’évoquez pas nos propres fautes '. Il me semble que les Russes ont du mal à comprendre que nous vivons dans un pays démocratique et dans un monde où il n’est plus possible de tenir des informations secrètes. Le pire, ce serait d’ajouter des mensonges sur l’accident de Smolensk à ceux sur le massacre de Katyn. Ce serait un désastre. On ne peut cacher à l’opinion publique ni la pagaille qui régnait à la tour de contrôle de Smolensk, ni le déplorable état technique de l’aéroport. Bien sûr, personne ne conteste que la responsabilité de l’accident incombe d’abord à la partie polonaise. Je crains simplement que cette habituelle réaction russe n’affaiblisse les chances de réconciliation apparues dans les premiers jours après la catastrophe. »
Une véritable réconciliation se fait donc attendre, mais l’espoir et la confiance commencent quand même petit à petit à se frayer le chemin, portés surtout par les simples citoyens russes et polonais qui sont tombés dans les bras les uns les autres et qui pleuraient ensemble, à Varsovie comme à Moscou, les morts de la catastrophe de Smolensk.