Après la Slovénie et la République tchèque, c’est donc un autre ancien pays membre du bloc soviétique qui prend les rênes de l’Union européenne. Budapest devra surtout contribuer à résoudre la crise économique et financière qui guette toujours les Vingt-Sept, alors que la situation de la Hongrie elle-même frôle la catastrophe, et qu’elle ne fait pas partie de la zone euro.
Contrairement à leurs voisins tchèques – dont la présidence européenne reste dans la mémoire collective comme particulièrement décevante – les Hongrois semblent bien préparés à leur nouveau rôle. De l’avis des spécialistes, ils disposent de cadres compétents et ils ont clairement défini leurs priorités. Ils seront certainement très attentifs à la procédure d’adhésion de la Croatie à l’Union et à celle de la Bulgarie et de la Roumanie à l’espace Schengen, au développement du Partenariat oriental, à la coopération énergétique en Europe, à la résolution du problème des Roms et à la coopération des pays riverains du Danube.
« Le Viktateur »
La difficulté pour la Hongrie, bien visible dès le premier jour de sa présidence, ce sont les critiques que suscite en Europe son Premier ministre, Viktor Orban, souvent qualifié de populiste et autoritaire. Ses adversaires politiques l’appellent, en allusion à son prénom, « Le Viktateur ». Selon Jaroslaw Gizinski, chef du service international à l’édition polonaise de Newsweek et grand spécialiste de la Hongrie, le déroulement de la présidence hongroise sera peut-être particulièrement perturbé « par l’affaire de la loi qui risque de museler les médias ». Toutefois, remarque-t-il, « cela ne concerne pas directement les mécanismes de la présidence de l’Union ».
La loi, jugée « liberticide » par beaucoup de journalistes hongrois et par leurs nombreux confrères européens, surtout en Allemagne et en France, a suscité l'inquiétude de la Commission européenne. Celle-ci a toutefois décidé de réagir prudemment tant que les détails et les conséquences pratiques de la loi ne sont analysés. Viktor Orban lui-même se montre sûr de lui et conciliant à la fois. « Si des craintes, quelles qu'elles soient, s'avèrent fondées », à l'issue de l'examen en cours du texte par la Commission européenne, « nous en discuterons et nous changerons cela », a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse marquant le début de la présidence hongroise, en présence du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Celui-ci a salué « la souplesse » du Premier ministre hongrois en la matière.
Inquiétudes polonaises
Dans les pays voisins de la Hongrie, même perplexité et même optimisme prudent qu’à Bruxelles. Surtout en Pologne, pays qui reprendra le flambeau de la présidence européenne après la Hongrie.
On y considère que la décision de Viktor Orban de faire passer la fameuse loi est politiquement incompréhensible et s'explique plutôt par un traumatisme psychologique causé par une campagne de presse très virulente menée contre Orban lors de son premier mandat à la tête du gouvernement. Viktor Orban attribue sa défaite électorale de l'époque à cette campagne. D'où ses tentatives de « sécuriser les flancs » maintenant. Des tentatives peu habiles et vraisemblablement contre-productives, certes, mais qui peuvent se comprendre dans le contexte strictement intérieur et sur le plan psychologique. En revanche, sur le plan politique, on estime généralement qu’il s’agit d’une erreur monumentale.
On ajoute toutefois souvent en Pologne que la réaction de certains pays européens et de leur presse paraît exagérée. On exprime des doutes sur l'honnêteté intellectuelle de ces attaques étant donné que sans doute très peu de commentateurs connaissent cette loi d'une lecture directe et d'une analyse de détails. Ils la connaissent plutôt telle que présentée par leurs collègues hongrois, qui seraient alors juges et parties. Il y a des observateurs qui pensent que ces attaques pourraient signifier une volonté de « tuer » la présidence hongroise avant même qu'elle ne commence pour de bon.
Dans ce contexte, les Polonais s'inquiètent un peu de leur propre présidence, prévue à partir du 1er juillet prochain. La Pologne partage plusieurs priorités avec la Hongrie et il a été convenu entre les deux gouvernements que les Polonais doivent finir certains travaux commencés par les Hongrois. Donc, si la présidence hongroise échoue ou si elle est obligée de s'occuper d'autre chose que prévu, les objectifs de la présidence polonaise seront beaucoup plus difficiles à atteindre. Ainsi, il y a des gouvernements en Europe qui s’inquiètent et qui critiquent, mais il y en a aussi qui ont clairement intérêt à ce que la présidence hongroise réussisse.
Laboratoire économique
Jaroslaw Gizinski reste résolument optimiste sur la suite : « Pour l’instant, beaucoup d’observateurs comparent les Hongrois aux Tchèques, qui étaient les premiers de l’Europe centrale à présider l’Union. Comme nous nous en souvenons tous, cette présidence avait été plutôt catastrophique. Mais je pense que les Hongrois sortiront vainqueurs de cette comparaison, en remplissant beaucoup mieux les tâches qui leur incombent. A mon avis, à l’issue de leur présidence, leur position en Europe s’améliorera ».
Même si la loi sur les médias suscite beaucoup d’émotions, Viktor Orban sera jugé, en fin de compte, surtout sur ses résultats économiques, aussi bien en Hongrie qu’en Europe. Si ses expérimentations économiques face à la crise donnent de bons résultats, la Hongrie sera peut-être considérée comme un laboratoire par d’autres pays en proie aux difficultés. Orban a décidé de taxer les banques et les grandes corporations. Plusieurs gouvernements européens en rêvent, mais n’osent pas le faire. Or, si la méthode hongroise fait ses preuves, elle pourrait devenir un exemple très contagieux.