Mikhaïl Khodorkovski purge actuellement une peine de huit ans de camp de travail, prononcée en 2005. A l’issue de son deuxième procès, il risque jusqu’à 22 ans d’emprisonnement. Avec l’ajournement du verdict, son sort reste plus incertain que jamais, car il est très difficile de dire s’il s’agit, pour lui, d’un bon ou d’un mauvais signe.
Son avenir va sans doute dépendre du résultat du bras de fer au sein du pouvoir russe entre les « durs » menés par le Premier ministre Vladimir Poutine et les « moins durs » conduits par le président Dmitri Medvedev. Le verdict risque donc d’être perçu comme un test de tendances et d’influences au sein de l’équipe dirigeante. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison que les discussions sur son contenu se prolongent.
Accusation grotesque
Alors que l’accusation de fraude fiscale, opposée à Khodorkovski lors de son premier procès, semblait déjà un peu tirée par les cheveux, cette fois elle paraît carrément grotesque. On l’accuse d’avoir volé à Ioukos des quantités de pétrole qui dépassent la production totale de l’entreprise dans la période incriminée. On pourrait avoir l’impression que le parquet a adhéré au principe « plus c’est gros, mieux ça marche ».
Face à ce qu’il perçoit comme une totale absurdité, Khodorkovski garde un calme olympien. Selon son porte-parole en France, Boris Durande, il « considère qu’il n’a absolument rien à se reprocher ». Il aurait pu quitter la Russie – comme d’autres oligarques tombés en disgrâce l’ont fait – mais il pense « qu’il est de son devoir de rester, parce qu’il n’a pas à rougir de ce qu’il a fait ». Pour lui, « tout ce qui lui arrive depuis 2003 est sans lien avec son activité de chef d’entreprise ». La conclusion qu’il en tire est claire : « Il y a une raison politique à cela. Donc, c’est un combat politique qu’il est obligé de mener ».
Adversaires très puissants
Il faut dire que, sur le plan politique, l’ancien patron de Ioukos est confronté à des adversaires très puissants. En particulier, à Vladimir Poutine, qui voue à Mikhaïl Khodorkovski une haine qu’il ne tente même pas de dissimuler. « Dès qu’il entend le nom de Khodorkovski », raconte Boris Durande, « il semble perdre son calme, il devient tout rouge, il s’énerve et il dit plus ou moins n’importe quoi ».
Indépendamment des émotions personnelles que peut éprouver le chef de gouvernement à l’égard de l’ancien oligarque, Vladimir Poutine est impliqué dans un jeu d’intérêts et dans un réseau d’amitiés beaucoup plus larges. Viktor Chenderovitch, écrivain et humoriste russe, a son idée à ce sujet : « C’est une corporation des anciens du KGB de St-Petersbourg qui est aujourd’hui au pouvoir. Une libération de Khodorkovski aurait signifié, en réalité, un changement de la situation politique du pays. Ce serait un signal très important. Khodorkovski en liberté représenterait un sérieux danger pour Poutine en personne. C’est pour cela que la probabilité de sa libération est minime ».
Indifférence et résistance
On voit bien que « l’affaire Khodorkovski » est entourée de vraies passions au sein de l’équipe dirigeante, mais est-ce que la population russe s’intéresse à ce jeu politique en général, et au procès de l’ancien patron du groupe pétrolier russe, Ioukos, en particulier ? A vrai dire, peut-être un peu plus qu’avant, mais cela ne suscite toujours pas de fascination de masse.
Carine Clément, sociologue et directrice de l’Institut de l’action collective à Moscou, est établie en Russie depuis longtemps et porte sur l’affaire Khodorkovski un regard de l’intérieur. Pour elle, « ce n’est pas un sujet qui anime beaucoup les conversations ; je dirais que c’est plutôt l’indifférence ». Sauf peut-être dans les rangs de « l’intelligentsia libérale » qui, elle, se mobilise pour Khodorkovski. En revanche, pour un citoyen lambda, « pleurer sur le sort d’un oligarque, ce n’est pas forcément la meilleure façon de passer son temps ».
Mikhaïl Khodorkovski risque donc de rester, dans son pays, un chevalier presque solitaire face au pouvoir en place. Et encore, le qualifier de « chevalier » , c’est peut-être dire un peu trop. N’oublions pas que l’origine de ses premiers millions n’est pas très claire et qu’il n’était certainement pas un ange à l’époque de Boris Eltsine. Mais, depuis, la situation a évolué.
De l’avis de Boris Durande, de plus en plus de Russes « commencent à le considérer comme un martyr – et plus on le gardera en prison longtemps, plus il sera considéré comme un martyr ». Il serait en passe de « devenir un symbole pour le pays entier, pour tous ceux qui souhaitent que la justice soit indépendante et que la société civile existe ». Ainsi, à force de s’acharner sur lui, le pouvoir actuel risque d’en faire finalement un symbole de résistance au système autoritaire.