A priori, les positions respectives du Parti démocratique du Kosovo (PDK) du Premier ministre sortant, Hashim Thaçi, et de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), désormais dirigée par le maire de Pristina, Isa Mustafa, ne devraient plus changer notablement. Le premier mène le jeu, avec un score de l’ordre de 31% des suffrages, tandis que la LDK arrive en deuxième position, avec 25 à 26%.
La LDK et d’autres petits partis, dont certains ne passent pas le seuil électoral de 5%, contestent néanmoins ces résultats. La LDK dénonce notamment le taux de participation « exceptionnel » enregistré dans les communes de Skenderaj/Srbica et Glogovac/Glogovcë, bastions historiques du PDK : près de 95% des électeurs inscrits s’y seraient rendus aux urnes, contre 47% au niveau de tout le pays.
Le retard pris par la Commission électorale à donner des chiffres définitifs n’est peut-être pas sans lien avec les incertitudes qui attendent désormais le Kosovo. La formation d’une nouvelle coalition gouvernementale nécessitera de toute manière des alliances et de longues tractations. Deux partis vont jouer un rôle clé : l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK), de l’ancien commandant Ramush Haradinaj, actuellement en instance de jugement devant le TPIY de La Haye pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, créditée de 10% des suffrages, et l’Alliance pour un nouveau Kosovo (AKR), qui obtiendrait un maigre 7%.
L’AKR n’aura pas de mal à s’allier au PDK et toutes les rumeurs qui courent en ville indiquent que les diplomates occidentaux – notamment américains – pousseraient l’AAK à s’entendre avec le parti de Hashim Thaçi. De la sorte, le nouveau gouvernement réunirait les composantes éclatées de l’ancienne guérilla de l’UCK. Au siège du PDK, malgré un résultat qui n’a rien d’un triomphe et marque même en baisse par rapport aux législatives de 2007, l’ambiance était confiante, voire euphorique, lundi matin. Les cadres du parti sont convaincus que Hashim Thaçi restera Premier ministre.
Celui-ci pourra également compter sur l’appoint bien utile des minorités et notamment des élus serbes. En effet, sur les 120 sièges du Parlement du Kosovo, dix sont réservés aux Serbes et dix aux « autres minorités » (Roms, Bosniaques, Turcs, Gorani, etc).
La communauté serbe entre boycott et taux de participation massif
La communauté serbe a en effet montré, encore une fois, deux visages totalement opposés. Les 40 000 Serbes de la zone nord du Kosovo, homogène et contigüe à la Serbie, ont totalement ignoré les élections. Les quelques « bureaux mobiles » établis dans cette zone n’ont recueilli que deux voix en toute la journée de dimanche, et ont dû se retirer dès le début de l’après-midi, dans un climat de forte tension. Par contre, la participation est fort significative parmi les 60 000 Serbes qui vivent dans les enclaves disséminées au sud du territoire : 35% d’entre eux se sont rendus aux urnes. Et ces électeurs serbes ont « plébiscité » le Parti libéral indépendant (SLS), qui recueille près de 80% de leurs suffrages.
Ce parti, qui dirige depuis l’an dernier les nouvelles communes serbes créées par le plan de décentralisation du Kosovo, participait également au gouvernement sortant de Hashim Thaçi.
Soupçons d'irrégularités
Les autres listes serbes dénoncent d’importantes malversations : pressions sur les électeurs, achats de voix et bourrage d’urnes. A Gracanica, la bourgade serbe des alentours de Pristina, une étrange ambiance régnait effectivement, dimanche, aux abords des bureaux de vote : des « militants » du SLS « montaient la garde » et ramenaient de chez eux les électeurs qui auraient oublié de remplir leur devoir civique. Selon plusieurs témoignages concordants, une voix se négociait 50 euros.
Le SLS et quelques autres partis représentant les « petites » minorités (Parti unifié rrom, SDA bosniaque) devraient assurer un capital supplémentaire d’une quinzaine de sièges parlementaires à une majorité conduite par le PDK. Il est à prévoir que Hashim Thaçi tirera gloire de cette coalition « multiethnique ».
Percée du Mouvement d'autodétermination
La scène politique du Kosovo connaît pourtant un profond bouleversement, avec l’émergence du mouvement Vetëvendosja (« Autodétermination »), qui se présentait pour la première fois à des élections. Dirigé par le charismatique Albin Kurti, l’ancien leader des manifestations étudiantes des années 1990, Vetëvendosja dénonce la corruption des élites politiques traditionnelles, rejette toute forme de tutelle internationale, et revendique l’unification du Kosovo et de l’Albanie. Avec 12% des voix, le mouvement n’entrera pas dans les tractations postélectorales et campera sur une ligne d’opposition radicale. Lundi matin, Bashkim, un militant de Vetêvendosja se frottait les mains : « Si le PDK et l’AAK entrent en coalition, ils achèveront de se déconsidérer auprès de l’opinion, leur gouvernement ne tiendra pas un an, et notre tour viendra vite ! ».