Bras de fer nucléaire entre Bruxelles et Téhéran

Après les Nations unies le 9 juin et les Etats-Unis le 1er juillet, les 27 Etats de l'Union européenne ont adopté ce 26 juillet un nouveau train de sanctions ciblant le secteur énergétique iranien pour contraindre la République islamique de renoncer à ses activités suspectes d’enrichissement d’uranium. En réponse, Téhéran souffle le chaud et le froid. Le président Ahmadinejad menace de riposte musclée toute tentative d’arraisonnement des navires à destination de l’Iran. En même temps, la diplomatie iranienne s’efforce de remettre sur la table des négociations la proposition d’échange de combustible nucléaire faite en mai dernier avec l’entremise de la Turquie et du Brésil. Une perspective qui n’a pas empêché les sanctions.

Toutes les activités iraniennes de raffinage de pétrole ou de liquéfaction de gaz seront désormais privées des investissements européens. Ils sont désormais interdits dans l’ensemble du très politique secteur énergétique. La stratégie européenne ambitionne en effet de paralyser complètement l’industrie iranienne des hydrocarbures. Et cela en prohibant aussi bien les services de maintenance que les transferts de technologie, en passant par les livraisons de pièces détachées.

La compagnie iranienne IRISL et ses filiales verront leurs activités de fret maritime frappées par des limitations très contraignantes. Les contrôles dans les ports européens ou en haute mer seront renforcés. Les livraisons en Europe dûment contingentées, tous produits confondus. Enfin, 41 noms viennent s’ajouter à la liste des Iraniens interdits de visas européens et dont les avoirs bancaires sur le continent doivent être gelés.

Isolement économique

L’Europe coupe les ponts économiques avec la République islamique, boudée depuis son avènement en 1979 et désormais boycottée en raison de ses ambitions nucléaires militaires. Mais pour les 27, il n’a pas été si facile de s’entendre sur ce durcissement des sanctions au regard des enjeux commerciaux, gaziers en particulier mais aussi financiers, qui intéressent de grandes entreprises européennes.

Le nouveau train de mesures décidé à Bruxelles accroît la pression des embargos bancaires et militaires inscrits dans les résolutions internationales de décembre 2006, mars 2007 et mars 2008 qui ont déjà été renforcées le 9 juin dernier à New York par le Conseil de sécurité. Ajoutées aux mesures américaines prises le 1er juillet dernier par l’administration Obama, les sanctions européennes confinent l’Iran dans une quarantaine économique de plus en plus hermétique.

Pour sa part, l’Allemagne a traîné les pieds avant de se résoudre à l’idée d’un embargo total sur surtout des transferts de haute technologie, un domaine dans lequel ses entreprises sont en pointe. Mais finalement la tension politique avait déjà mis à mal les relations commerciales les plus profitables. La firme Siemens, par exemple, était implantée depuis le XIXe siècle où elle avait construit la centrale nucléaire de Bouchehr, au milieu des années 1970, avant de s’en désengager pour cause de Révolution islamique en 1979. Siemens avait quand même gardé la main en Iran dans le domaine portuaire, puis dans celui des télécommunications et d’internet aussi. Mais en janvier 2010, la firme allemande a officiellement jeté l’éponge en janvier 2010.

Un enjeu de politique intérieure

Le renforcement des sanctions représente un manque à gagner pour les compagnies occidentales qui vont devoir notamment renoncer à leurs lucratives livraisons d’hydrocarbures raffinés. En retour, son impact sur l’économie iranienne constitue un enjeu de politique intérieure majeur pour les tenants du régime Ahmadinejad. Début juillet, le Grand bazar de Téhéran était d’ailleurs en grève, un signe de malaise économique grandissant dans un pays pétrolier où les pompes à essence sont régulièrement en rupture de stock.

Deuxième exportateur d'hydrocarbures de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), quatrième au plan mondial, l’Iran importe plus d’un tiers de sa consommation en carburant et en dépit de sa volonté affichée devant le Fonds monétaire international, le régime Ahmadinejad ne parvient pas à réduire sinon à renoncer aux subventions qui contiennent le mécontentement populaire en allégeant les prix des transports publics, de l’électricité, du gaz ou de l’essence.

L’idée initiale des Occidentaux étaient de sanctionner l’activisme nucléaire iranien en épargnant la population autant que possible et en ciblant les Gardiens de la Révolution, les Pasdarans, bras armé idéologique du régime. Même si nul ne doute en Iran de son droit souverain au nucléaire, la République islamique de Mahmoud Ahmadinejad se doit d’amortir les effets des sanctions, à défaut de négocier avec les Occidentaux. De leur côté, les Pasdarans sont contraints de redoubler de précautions pour camoufler leur emprise économique.

Selon les spécialistes, comme Clément Therme de l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, les gardiens de la Révolution s’engouffrent dans les secteurs privatisés par le régime et s’emparent aussi des domaines désertés par les investisseurs étrangers pour cause de sanctions. Par ailleurs, comme toujours en pareil cas, la question du contournement des sanctions va se poser.

Téhéran souffle le chaud et le froid

Même si le président Ahmadinejad s’en indigne comme d’un véritable casus belli inscrit au catalogue des sanctions européennes, la vérification des cargaisons en haute mer ne suffira pas à empêcher le contournement des sanctions, une activité lucrative en soi. Si l’on en croit le témoignage du chercheur David Rigoulet-Roze, des convois routiers de camions citernes acheminent déjà du carburant d’Irak en Iran.

Il sera plus facile en revanche de contrôler les transferts bancaires de l’Europe vers l’Iran, d’empêcher l’atterrissage des avions cargo en provenance de la République islamique où de vérifier que les banques iraniennes ont fermé leurs succursales en Europe. De son côté, l’Iran annonce qu’il va investir près de 26 milliards de dollars dans la construction de nouvelles raffineries d'ici 2014, autant dire aux calendes grecques à l’échelle de la rue iranienne. Un projet d’indépendance énergétique certes réalisable à long terme. Mais une annonce en forme de défi qui indique que Téhéran a parfaitement reçu le message des sanctions.

Au moment même où l’Europe officialisait l’adoption des nouvelles sanctions, à Vienne, l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) attendait la réponse iranienne aux questions soulevées par les Etats-Unis, la Russie et la France sur la contre-proposition d'échange d'uranium faite le 17 mai dernier par la médiation turco-brésilienne. L’idée était de procéder à l’échange de 1 200 kg d’uranium iranien faiblement enrichi à 3,5%, contre 120 kilos de minerai retraité à 20%, pour alimenter en combustible le centre de recherches médicales de Téhéran. Et cela avec une procédure prévue en territoire turc et non pas russe ou français comme le souhaitaient les Occidentaux.

A l’instar des Etats-Unis, l’Europe a ignoré cette offre en deçà de son attente et soutenu le renforcement des sanctions onusiennes. Dimanche, le chef de la diplomatie iranienne, Manouchehr Mottaki, a quand même annoncé l’envoi d’une lettre explicative à l'AIEA à Vienne. « Les pourparlers du groupe de Vienne avec l'Iran, en présence de la Turquie et du Brésil ou non, pourront débuter immédiatement après une annonce par l'autre partie », a-t-il déclaré en projetant même une rencontre avec la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton, en septembre, après le ramadan.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu envisage « la deuxième semaine de septembre comme une date possible » pour la reprise de pourparlers, éventuellement à Istanbul, mais « dans le cadre du groupe 5+1 » les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine, Russie, et l'Allemagne. En attendant, le Canada annonce à son tour une nouvelle pluie de sanctions pour une mise en quarantaine énergétique de l’Iran.

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